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Prenez Metody, foirez un peu le copier-coller et tirez un pays au hasard. (Heng)

Eelis
Qu'est-ce qui est jaune et qui traverse les murs ?
Personnages : Al, Sydonia, Even, Dylan et Al'
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Date d'inscription : 10/06/2012
Eelis
Ven 23 Aoû - 22:19

មាន ហេង


APPELLATION
Son nom complet est Mean Heng, Mean (écrit មាន ) étant l'équivalent de son nom de famille (et par ailleurs le prénom de son grand-père) et Heng (ហេង) son prénom.

ÂGE
42 ans (né le 5 avril 1970).

NATIONALITÉ
Cambodgien (khmer) d'origine, mais il a maintenant l'apparence d'un polonais.

GOÛTS
Heng n'a pas vraiment de passion en tant que telle à laquelle il pouvait vouer son temps, mais il y a des choses qu'il aime. La plus importante d'entre elles est sa famille. Dans une moindre mesure, il aime aussi son travail actuel, le football, la boxe et le curry. Depuis son arrivée dans l'Esquisse, il a également retrouvé un intérêt pour sa religion, le bouddhisme (courant theravāda), même s'il n'en a jamais été un très fervent pratiquant.
À l'inverse, il déteste le gouvernement, la police, les touristes et... absolument tout de sa situation, même s'il fait des efforts considérables pour l'aborder sous un jour plus positif.

ARRIVÉE DANS L'ESQUISSE Jour 23, en même temps que Metody Kowalski et ses sosies. Il rejoint le Laboratoire sur la fin du jour 25 en suivant les empreintes de pas encore fraîches de Metody.


Caractéristiques



♦ CONSTITUTION PHYSIQUE : Plutôt élevée. Celui dont il est le sosie a après tout le mérite d'être en bonne santé.
♦ AGILITÉ : Intermédiaire en principe, mais en l'état il éprouve encore quelques difficultés à s'habituer à ce nouveau corps et sera donc en "Plutôt bas" pour quelques jours.
♦ HABILETÉ : Plutôt voire très basse pour commencer. Outre le fait que ce corps soit assez différent de l'ancien dans ses détails et qu'il fatigue facilement lorsqu'il garde les yeux ouverts, Heng ne peut pas utiliser sa main gauche comme il le veut pour l'instant. (cf Particularités)
♦ FACULTÉS MENTALES : Plutôt basses. Heng ne comprend rien à l'Esquisse, et avant cela n'a pas beaucoup été à l'école, ni ne compensait en était particulièrement studieux ou malin. Il a cela dit des réflexes de survie qui pourront lui permettre de s'adapter à l'Esquisse.
À noter que Heng sait à peu près lire, mais est peu susceptible de comprendre quoi que ce soit aux documents du Laboratoire et leur gratin de jargon cyantifique, ou à de la littérature qui multiplie les mots compliqués. Cela vaut aussi pour l'écriture, dont il peut se servir pour faire passer des messages simples (pas super bien orthographiés, par contre), mais certainement pas pour faire de longues dissertations. En fait, il a toujours été ce genre de personne qui passe son temps à téléphone aux gens et ne garde rien par écrit, sinon les factures qu'il fait dès qu'il le peut remplir par sa femme.

♦ MÉDECINE : Inconnu. Heng sait à peu près comment réagir si ça saigne et a dû s'occuper des bobos de ses enfants, mais au-delà de ça, ils s'en remet aux guérisseurs et aux herboristes.
♦ BRICOLAGE : Adepte. Avec la vie qu'il a mené... disons qu'il faut savoir se débrouiller. Avant l'Esquisse, il a notamment participé à la construction de sa maison, à la reconstruction de la pagode de sa ville, à l'entretien de ses véhicules et à divers petits travaux. À noter qu'il serait cependant incapable de toucher à de l'électronique et qu'il sait tout juste utiliser un ordinateur.
♦ MAÎTRISE DES ARMES BLANCHES : Inconnu. Il avait toujours un couteau dans son camion et on lui a montré quelques tours, mais guère plus.
♦ MAÎTRISE DES ARTS MARTIAUX ET DU COMBAT À MAINS NUES : Novice. Il s'est déjà battu au poing et a vu des matchs de bokator (la boxe khmère) dont il a tiré quelques idées de coups à essayer, mais cela ne va guère plus loin.
♦ MAÎTRISE DES ARMES À DISTANCE Adepte. Bien qu'il soit techniquement illégal au Cambodge de posséder une arme à feu, Heng a connu la guerre une bonne partie de sa vie et ainsi acquis quelques connaissances... utiles, que ce soit pour manier diverses armes à feu, se débrouiller avec un lance-pierre maison ou utiliser un arc de fortune. Après la guerre, il n'a, pour des raisons légitimes, jamais compté sur les autorités pour défendre sa famille et ses biens, alors il a continué à garder avec lui une arme à feu (et parfois à en livrer), même si le prix des munitions et la nature de son métier font qu'il ne s'en servait pas régulièrement.
♦ CUISINE : Novice. Il a déjà cuisiné, mais c'est rare depuis qu'il est avec sa femme. Il maîtrise en revanche nombre de techniques pour faire manger les enfants récalcitrants.
♦ SCIENCES APPLIQUÉES (chimie, biologie, géologie, etc) Inconnu. Heng a une compréhension du monde qui tient plus du spirituel que de la science moderne, et aurait bien du mal à saisir un concept comme celui d'atomes ou de nerf optique.
♦ CONDUITE DE VÉHICULES : Adepte. Son métier impliquait souvent de parcourir des chemins souvent mal branlés avec des cargaisons qui valent plus ou moins chères. Il sait donc aussi bien conduire des voitures que des camions ou des mini-bus, et peut effectuer des réparations sommaires sur son véhicule si nécessaire. Il saurait aussi voler une voiture sans trop de difficultés.

D'autres compétences pour le plaisir d'en mettre :
♦ SURVIE : Adepte. Trouver et accepter de manger de tout, faire feu de tout bois, se repérer dans un lieu sans GPS, supporter des conditions de vie déplorables et des incertitudes sans devenir timbré... ont autant de choses que Heng a déjà vécu. Cela étant, il n'a pas encore eu l'occasion d'appliquer cela à l'Esquisse.
♦ AGRICULTURE : Novice. Des fois que la démocratie esquisséenne décide de s'installer quelque part, Heng sait à peu près comment s'occuper d'un champ.

♦ PARTICULARITÉS : Heng est l'un des sosies de Metody Kowalski, bien qu'il ne sache pas être son sosie à lui particulièrement. De son point de vue, il s'est réveillé au milieu de personnes qui se ressemblent toutes, et puisqu'il n'a encore rencontré personne d'autre il en déduit que c'est simplement un monde où tout le monde est identique.
Il est sa copie parfaite (en plus négligé), à une particularité relativement visible près...
Lisez après la description si vous voulez pas être spoil du coeur de l'arrivée dans l'Esquisse:

♦ NIVEAU DE DIFFICULTÉ SOUHAITÉ : Difficile.

(Pour la suite, la partie "avant l'esquisse" a pas de TW en tant que tel mais aborde potentiellement des thèmes assez durs ('fin le Cambodge pendant la guerre froide c'est pas le pays de la joie), j'ai allégé autant que se peut mais si vous craignez que ce soit trop, vous pouvez passer à la fin, ou lire une des autres parties)

Avant l'Esquisse



De son enfance, il n’avait pas beaucoup de souvenirs agréables.

D’abord, il avait failli ne pas avoir d’enfance. On pourrait dire que c’était le moins important puisqu’un évènement malheureux qui n’advient pas ne laisse pas de trace. Pourtant, il s’avère qu’on vit parfois différemment quand on sait que les bombardements américains sont passés pas loin de ses champs et qu’il y a une tante que l’on ne connaîtra jamais. Sa mère, en tout cas, était persuadée que d’y avoir survécu était le signe d’une bénédiction.

C’est sûrement pour cela qu’elle lui donna un prénom qui signifiait « Chanceux ».

Heng ne se souvenait pas vraiment de ses premières années, mais quand il les comparerait avec la suite, il les trouverait bien douces en dépit de leur dureté. En tant que cinquième enfant d’une famille d’agriculteurs, il voyait ses parents se casser le dos pour s’occuper des champs et de la maison, si bien qu’il côtoyait finalement presque surtout ses aînés, qui s’occupaient de lui quand ils n’étaient pas eux-mêmes en train de travailler. Il n’y avait pas grand chose à manger non plus : ce que les techniques primitives permettaient à peine de cultiver et les forêts dans lesquels on cueillait étaient régulièrement décimés par des combats dont il entendait parler sans jamais comprendre ce que c’était.

Il y avait un espoir, pourtant, auquel il avait toujours vu sa famille s’accrocher durement : le communisme. Pendant qu’on mangeait mal, les paysans étaient en train de prendre le pouvoir et sauver le pays. En tout cas, c’était ce que ses parents et les guérilléros qu’ils aidaient lui avaient raconté, avec des mots et des chansons qu’il comprenait à peine et qu’il n’aurait su contester. Ces braves, en disait-on, allaient créer un endroit juste, au service des travailleurs comme lui et comme ses parents, où tout le monde serait au même niveau. Un pays avec lequel les capitalistes étrangers arrêteraient de jouer.

Du point de vue d’un enfant, la révolution se termina très vite, puisqu’il n’avait encore que cinq ans quand le pays tomba officiellement aux mains des Khmers rouges. La vérité était bien sûr que les choses s’étaient étalées sur plus de vingt ans et que beaucoup de puissances étrangères avaient été impliquées pour ou contre cette montée au pouvoir.

Cette nouvelle fuit naturellement par une période d’euphorie. Heng lui-même, si petit qu’il était, sortit pour applaudir les héros du pays, dont faisait désormais partie son père comme beaucoup d’autres paysans qui avaient pris les armes très récemment. Ces héros ne revenaient pas tous seuls, car ils avaient emmené avec eux plein de riches de la capitale pour les remettre dans le droit chemin en travaillant la terre. (En vérité c’était tous les habitants, incluant les patients de l’hôpital, qui avaient été forcés de quitter les villes, et ceux qui avaient refusé avaient été exécutés au passage.)

Cette joie, si elle put résister à ces premiers changements, ne dura guère que quelques temps. Après cela, Heng et toute sa famille vécurent ce qui serait décrit à juste titre comme l’une des évènements les plus sanglants du siècle. Les idéaux de terres partagées, de repas distribués de façon équitable, de langue réformée et d’égalité laissèrent en effet place à une agriculture désorganisée et complètement incapable de nourrir une population qui avaient doublé de volume depuis l’expulsion des villes, puis à la famine généralisée et entretenue à dessein. La vie privée et les liens familiaux furent déchirés, les minorités et les intellectuels furent déportés ou exécutés, tous ceux que l’on soupçonnait de s’opposer au régime avec.  Il y avait alors autour de Heng beaucoup de gens, y compris de sa propre famille, qui mouraient de surtravail, de maladie ou de faim, ou qui disparaissaient du jour au lendemain pour être emmenés dans des camps dans lesquels ils endureraient les pires sévices.

Face à la faim qui lui criait qu’il était l’un des prochains, cette propagande avec laquelle son cerveau d’enfant avait été biberonné ne pouvait que paraître de plus en plus mensongère. Même son père, cet homme qui avait si bien servi les rouges et faisait encore partie de leurs troupes, mourrait un peu plus à l’intérieur, après chaque nouveau crime qu’il devait commettre en leur nom. Tout cela pour tenir des objectifs dont toutes ses expériences d’agriculteur lui dictaient qu’elles étaient impossibles, mais qu’il n’avait quand même d’autre choix que de tenir. Il disparut lui aussi un jour.

Cette période de terreur dura environ cinq années de plus. Pourtant, quand Pol Pot fut renversé par l’armée du Viêt Nam en 1979, la situation ne s’améliora pas drastiquement. En fait, on peut dire dès maintenant que les conflits continueraient pendant toute la jeunesse de Heng, pour ne paraître s’apaiser qu’à l’approche du 21ème siècle, alors qu’il aurait déjà atteint la trentaine. Ces combats impliqueraient eux aussi bien des pays aux intérêts variés, et à vrai dire Heng ne sut pas grand chose sur la situation générale avant bien plus tard dans sa vie, à force d’entendre les récits de ceux qui avaient traversé des épreuves similaires, sinon infiniment pire que les siennes.

Par contre, il en vécut les conséquences. Sa famille, alors tenue à bout de bras par sa mère, avait vu ses maigres récoltes pillées par l’armée vietnamienne lorsqu’elle était passée. Cette fois, elle avait choisi comme tant d’autres de fuir vers la Thaïlande avec quelques minces espoirs d’y connaître une vie meilleure.

Le chemin pavé de mines fit encore beaucoup de morts et morcela encore la famille de Heng, qui constata finalement qu’elle avait affronté tout cela pour finir entassée au milieu des autres réfugiés, dans des camps à la frontière. La situation, qui devait durer quelques mois, dura quelques années, mais, après tout, il n’y avait pas vraiment d’autre endroit où les choses semblaient aller mieux, alors ils restèrent. Sa famille au moins lia quelques amitiés, et la vie continuait. Pour Heng, cette vie consista d’abord à essayer d’apprendre à lire et à écrire, quand on n’avait pas besoin de lui pour travailler.

Puis, alors que cela faisait déjà un an que les camps duraient, il apprit à tenir une arme.

Entraîné par quelques copains plus âgés qu’il admirait et par son envie de devenir un homme qui prend en main son destin, Heng — à peine entré dans l’adolescence — rejoignit l’un des mouvements de guérilla anti-vietnamienne. Ces organisations n’étaient alors que de petits groupes aux orientations très diverses, sinon incompatibles en n’importe quelle autre circonstance, ce tant et si bien qu’on y croisait autant des khmers rouges que leurs ennemis. Si l’on peut dire de cette période que ses rêves de gloire au combat refroidirent rapidement dans la boue et les longues journées passer à attendre qu’il se passe quelque chose, il conserverait malgré tout de tendres souvenirs de cette période. En effet, nombre de ses frères d’armes devinrent, pour ceux qui survécurent, des amis qui le resteraient pour les décennies à venir. Et surtout, même si ce n’était pas grand chose, il avait eu l’impression de prendre sa vie en main et d’agir pour quelque chose.

Après quelques années à s’impliquer dans la guerre civile au gré des saisons, Heng atteignit finalement la vingtaine. Or, à l’aube des années 90, le conflit patinait et suffisamment de rouages bien au-delà de sa portée et de sa compréhension avaient fini par s’entraîner les uns les autres pour mener vers la fin de la guerre.

Ce n’était pas le début de la paix, ni celui de l’espoir, ni celui de l’autonomie, seulement d’une stabilité fragile et amère.

Mais c’était une stabilité quand même.

Heng retrouva les proches que ni guerre, ni maladie, ni famine, ni mine et ni fuite ne lui avaient enlevé : sa mère, son frère aîné et deux orphelines qu’il considérait comme ses sœurs. Ensemble, ils songèrent à tenter de quitter le pays, une fois de plus, en espérant ne plus être arrêtés. Au dernier moment, cependant, Sa mère leur confia qu’elle se sentait trop vieille pour faire le voyage et qu’elle avait vécu trop de déceptions pour croire qu’on les accueillerait où que ce soit. Puisqu’il n’était pas question de la laisser au pays, ils abandonnèrent le projet. Puis, après quelques semaines d’errance, ils retournèrent tous ensemble vers leur village — qui avait été bombardé depuis — et cherchèrent les proches qu’ils avaient perdu de vue. De chemin en chemin, ils finirent par s’installer aux abords d’une petite ville, où Heng et sa fratrie recomposée avaient par leurs contacts et leur jeunesse des opportunités de travailler.

Pour manger, ils acceptèrent tous les travaux, et souvent les cumulèrent. Lui retrouva assez rapidement l’un de ses frères d’armes et eut l’opportunité d’apprendre à conduire, ce qui lui ouvrit toutes sortes de petits emplois de livraison et de transport. Le matin, il livrait les marchés, puis déplaçait les locaux non véhiculés. L’après-midi, il aidait aux déménagements et aux reconstructions. Le soir, il ramenait les invendus des marchés, les travaux et les autostoppeurs. Ce n’était jamais très bien payé, mais c’était payé, et il se sentait bien plus libre que s’il avait eu à retourner dans une rizière qui l’enchaînait à sa terre.

Une chose le préoccupait cependant, les rares fois où il pouvait se poser pour y réfléchir : il approchait dangereusement la trentaine et il n’était pas marié.

Dès lors que ce constat s’imposa à lui, il se rendit compte que l’idée du mariage n’était pas seulement une préoccupation purement sociale, mais, peut-être, un rêve qui naissait timidement. Quand il osa enfin faire part de ses préoccupations, ses proches — en particulier sa vieille mère — consentirent avec joie à cette idée, et se mirent en recherche d’une femme qui collait à peu près aux critères.

On le présenta alors à une certaine Nimol Maly, fille d’un petit restaurateur chez qui sa plus jeune sœur faisait régulièrement la plonge pour quelques sous. Elle lui plut assez en première impression, cependant leurs premiers échanges furent un peu laborieux, pour ne pas dire pollués par les banalités et sabotés par les maladresses. C’était après tout, pour Heng, la première fois qu’il considérait quelqu’un du sexe opposé comme tel, et il n’avait presque aucun modèle sur lequel se baser pour savoir comment les aborder, son père étant mort avant de lui avoir montré les codes de la conjugalité et sa mère étant devenue une veuve endurcie. C’était heureusement un égarement qui ne déplaisait pas à Maly, qui s’ouvrit même un peu plus à lui. Un jour, enfin, ils discutèrent pour de vrai, et puisqu’ils voulaient éviter de partager leurs blessures, c’est de leurs rêves dont ils parlèrent.

Heng entendit Maly lui décrire sa famille idéale, grande et qui ne manquerait de rien, avec des enfants qui iraient à l’école et qui feraient des grands métiers. Ses mots aussitôt, le touchèrent comme peu de choses l’avaient touché, car il sentait qu’on posait enfin des mots très justes sur des idées encore floues. D’ailleurs, si les concepts de l’amour et de romance avaient été importantes sa conception du mariage, il aurait certainement dit à ses enfants que c’était à ce moment-là qu’il était tombé amoureux.

À défaut, il lui fit tout de même la promesse qu’il ferait de ce rêve une réalité et s’y employa tout le reste de sa vie.

Sitôt le mariage pleinement célébré sur les maigres économies de Heng, Maly vint s’installer dans la petite maison qui hébergeait déjà Heng, bien que cela soit plutôt à l’inverse des traditions. Puisque la maison était déjà bien habitée par le reste de sa fratrie, il fallut rapidement l’agrandir, surtout si leurs enfants — dont le premier arriverait très vite — ne devaient jamais manquer de rien.

Et pour agrandir, il fallait de l’argent. Plus encore qu’avant, Heng travailla beaucoup et longtemps et se saisit de toutes les opportunités qui pouvaient lui permettre de nourrir autant de bouches. Assez vite, il se retrouva contacté pour participer à quelque trafic. Cigarettes, drogues, ivoire, armes ou produits électroniques de contrebande, il finit par accepter toute affaire qui lui semblait profitable. Parfois, même, on lui demanda de garder chez lui, de fabriquer ou d’aller vendre — il accepta tout. On lui demanda aussi de sécuriser, puis de tirer — il accepta encore. Il en vit certains se faire arrêter. D’autres fois, ce fut lui qui manqua de tomber dans les mailles du filet. La seule limite morale se trouva être le trafic d’êtres humains, car il savait qu’il impliquait souvent des enfants vendus par leurs propres parents. En réalité, cependant, il fallait avouer qu’il ne rechignait qu’à être impliqué directement, car il savait que certaines personnes avec lesquelles il faisait affaire y trempaient aussi.

À sa famille, cependant, il se garda bien de parler en détails de toutes ces histoires. Ni sa mère ni sa femme, toutes deux devenues de ferventes bouddhistes avec les années, ne l’auraient tout à fait accepté. Leur mentir, même si c’était pour leur bonheur matériel, le tiraillait à chaque fois qu’il les voyait ou qu’il cachait au milieu de leurs propres vivres un sac de produits illicites.

Pour supporter cette contradiction, il se convainquit que sitôt qu’il aurait mis un peu d’argent de côté, il se contenterait du minimum à nouveau, et qu’il rachèterait ses fautes une à une.

À quarante-deux ans, pourtant, cette idée s’était doucement effacée. Non pas qu’il ait échoué à mettre de l’argent de côté, bien au contraire : entre le tourisme florissant dont il profitait et la petite société de transport qu’il montait avec quelques amis, Heng s’en tirait plutôt bien pour un homme de son pays. Ses enfants pouvaient aller à l’école et dormir dans des lits propres, ils grandiraient dans une ville qui renaissait doucement de ses cendres et il y avait assez d’argent caché dans le grenier pour leur payer un aller simple au bout du monde s’il le fallait.

Pourtant, il ne se sentait ni serein, ni satisfait.

C’était en fait tout comme si la réalité allait s’effondrer sous ses pieds d’un instant à l’autre et qu’aucune préparation ne serait suffisante. Comme si tous ses cauchemars de guerres et de pertes allaient revenir, d’un instant à l’autre, pour lui arracher douloureusement sa tranquillement. Il ne pouvait manger une soirée en famille, goûter le curry délicieux de sa femme, entendre chanter sa fille de quinze ans dans la fleur de l’âge, emmener son fils de douze ans vif et courageux regarder de la boxe, ou aller chercher sa fille de neuf ans polie et intelligente à l’école, sans craindre de les voir un jour fuir ensemble, à l’autre bout du pays, perdre le pied dans une mine et crever morts de faim, les sacs pleins de papiers qui n’avaient plus aucune valeur.

Heng n’avait pas prédit l’Esquisse mais l’ironie du sort voulut qu’il n’eut pas tout à fait tort. Au moins dans son cas.


Arrivée dans l’Esquisse



Quand Heng ouvrit les yeux, une douleur intense lui transperça le crâne.

Pendant un bref instant, le monde lui apparut mauve, bleu, jaune, rouge, de toutes les couleurs et dans toutes les directions à la fois, sans aucun dessus ni dessous, aussi flou que net et complètement dénué de toute forme qui eut pu avoir un sens.

Incapable de supporter la sensation, il les referma aussitôt, en même tant qu’il se recroquevilla sur lui-même, paniqué et hébété. Un cri indiscernable lui avait échappé, mais il n’arrivait pas à mobiliser assez de forces pour appeler à l’aide qui que ce soit. Sa femme, sûrement, ne serait pas encore partie au marché. Elle pourrait demander au voisin…

Alors qu’il se relevait pour sortir de son lit, il prit conscience de l’évidence que tous ses autres sens lui amenait : ce n’était pas son lit. Et ce n’était pas sa chambre. C’était l’extérieur, couvert de terre ou de sable, pour autant que ses mains pouvaient en sentir. C’était un vent léger, qui glissait contre ses joues, et qui emportait jusqu’à ses oreilles un vague brouhaha. C’était une odeur d’herbe, ou de fruit peut-être, qui n’existait pas dans son pays.

Où était-il, s’il n’était pas chez lui. Et où était sa femme ?

Il essaya de rouvrir les yeux et fut de nouveau surpris par la douleur.  

« Calme-toi, calme-toi, on est là ! » lui cria une voix qui lui semblait se rapprocher, à l’avant d’une petite foule de voix tout aussi inconnues. « J’en ai trouvé un autre ! »

Sa première réaction fut, à nouveau, de paniquer.

Pendant qu’il reprenait doucement ses esprits mais gardait les yeux fermés, il se fit expliquer, dans la confusion et l’effroi d’un mélange de voix qui sonnaient toutes pareilles, ce qui se passait. On lui parla d’un autre monde, on lui décrivit des paysages improbables et des situations impossibles qu’il fut tout bonnement incapables de concevoir. Sans insister plus, alors, on essaya de le convaincre de les rejoindre au petit camp que ces “ménechmes” — tels qu’ils se présentèrent — avaient tout juste commencé à construire.

Hésitant à l’idée de suivre des inconnus mais totalement à court d’options dans son état, Heng se releva péniblement en attrapant le bras qu’on lui tendait, puis se fit amener dans un autre endroit qui n’était toujours pas sa maison. En chemin, il entendit surtout des bruits de pas, de bois et de discussions qui allaient dans tous le sens, toujours sans parvenir à tirer le moindre sens de cette cacophonie.

On l’installa, lui dit-on, un peu à l’écart, pour qu’il s’allonge, même si ce n’était que sur un tas de vêtements qu’ils avaient empilé sous une tente de fortune. C’est à ce moment-là seulement qu’il enleva les mains qu’il avait laissées figées sur son visage, sans trop savoir où les mettre. C’était qu’il ne savait toujours pas de quel mal il souffrait subitement.

« Excusez-moi… » demanda timidement un homme, qui semblait être juste à côté de lui — il ignorait si c’était le même qui l’avait trouvé. « Est-ce que vous êtes au courant que vous avez… plusieurs… enfin, que vous avez quatre yeux sur le visage ? »

Certain que la confusion avait inversé des mots, il demanda à son interlocuteur de se répéter. Il fallut cependant, puisque les répétitions ne suffisaient pas, que l’homme lui palpe, doucement, et une à une, les paupières pour que Heng commence à considérer qu’il avait bien compris la première fois. Aussi absurde que cela puisse être.

Il n’eut cependant pas le temps de digérer cette idée que l’homme lui découvrit deux autres yeux bien fermés, fondus dans sa main comme s’il était naturel qu’ils s’y trouvent.

En remontant à peine le long de son bras, il en trouva un autre.

Craignant le pire, le ménechme — qui s’était déclaré infirmier — l’aida à se déshabiller et compta, doucement mais avec effroi, les paupières fermées qu’il découvrait encore. Dans son dos. Sur sa jambe.

« Et… Douze. »

Douze.
Aussi absurde que cela paraisse, c’était le nombre d’yeux qui parcouraient le corps d'Heng. Il se sentit obligé de croire que ses sensations, bien réelles, de cils et de bosses étranges, pouvaient tout aussi bien être dues à l’égarement.

« Vous n’y croirez probablement que si vous les voyez vous-même… »

S’ensuivit une nouvelle tentative et un nouveau mal de tête.

« Attendez, je crois que je vois le problème. »

En s’exprimant assez lentement pour que Heng suive, l’infirmier tenta de lui expliquer que son incapacité à ouvrir les yeux était probablement liée au fait qu’ils s’ouvraient tous à la fois et qu’il était incapable de supporter douze points de vue à la fois. Pour estimer à quel point il avait le contrôle sur ses nouveaux sens, il demanda alors à Heng d’essayer toutes sortes de choses, jusqu’à ce que celui-ci n’en puisse plus et demande à pouvoir se reposer. Son compagnon d’infortune acquiesça.

Heng s’endormit donc en priant de tout son cœur pour se réveiller auprès de sa femme.

Il fut tiré du sommeil à peine plus tard par les tintements d’un repas qu’on vint lui servir. Il se montra encore confus et n’eut pas la moindre idée de ce qu’il avalait, mais parvint doucement à se détendre et à retrouver assez d’apparence pour remercier ses hôtes. Dans le fond, il était toujours terrifié à l’idée d’être perdu au milieu de nulle part, peut-être embarqué dans un quelconque trafic d’être humains voire d’organes avec des gens qu’il ne connaissait pas. Mais comme lorsqu’il avait été trouvé, il n’avait même pas la force de se méfier de ceux qui pouvaient aussi bien être ses ravisseurs.

Du reste, tout ce qu’il en percevait dans son obscurité était étrange. Toutes leurs voix s’emmêlaient étrangement, comme s’ils avaient tous la même, et ce qu’il saisissait de leurs discussions était… paradoxal. D’un côté, tous ces gens parlaient khmer — comment aurait-il pu les comprendre autrement ? — mais, de l’autre, quand ils parlaient de pays, ils ne mentionnaient jamais le sien, comme s’ils venaient chacun d’endroits totalement différent.  

Tout cela n’avait aucun sens. Tellement qu’il devait y avoir une réponse qui unissait toutes ses observations en une seule. Un principe évident qui lui sauterait aux yeux quand il aurait l’esprit plus clair. Il n’avait ni cette clarté, ni le courage d’y réfléchir pour l’instant.

Quand ils furent de nouveau tous les deux, le ménechme qui se proclamait infirmier eut une nouvelle idée. Il retrouva tous les yeux d’Heng qui étaient visibles sans ôter de vêtements et les recouvrit méthodiquement de bouts de tissus qu’il avait récolté dans le camp, en s’assurant chaque de ne pas trop appuyer dessus. Cela jusqu’à ce qu’il ne reste à Heng, d’exposé à l’air libre, que son œil droit.

« Est-ce que vous pouvez réessayer, maintenant ? »

Heng ouvrit très lentement les yeux. Il se sentit encore un peu désorienté mal à l’aise, voire sur le point de vomir, mais cette fois, il percevait une image à peu près nette — bien que vacillante.

En face de lui se trouvait un homme qui avait tout d’un touriste occidental. Brun, peau relativement claire, très légère barbe, tenue qui suggérait qu’il avait de l’argent.

« Je vous vois.
— Ça va ? Ou c’est trop fatigant ? »

Le cambodgien hésita, puis balbutia un « C’est bon. » et sourit légèrement, moins par confiance réelle que parce qu’il ne voulait pas être perçu comme trop faible devant un homme qu’il ne connaissait guère.

Il profita de sa vision regagnée pour tourner lentement la tête. Il était bien sous une sorte de tente, faite avec ce qui semblait être un drap rouge. Sous ses pieds, c’était bien du sable.  

Et cette main qui plongeait dans le sable, c’était bien…

Terrorisé par ce qu’il croyait, il eut un mouvement de recul.

« Où sont mes mains ? demanda-t-il, alors que la sueur commençait à glisser à le long de sa tempe.
—  Elles sont là, juste devant vous. »

Le ménechme, comme s’il comprenait exactement le désarroi auquel son interlocuteur faisait face, lui attrapa les mains, pour qu’il les sente.

Ces mains ne pouvaient être les siennes, et pourtant, elle l’étaient indubitablement.

En maintenant l’illusion du calme retrouvé, il s’intéressa à sa main gauche. Ce qu’il devait regarder à la base..

« Vous voulez que j’enlève la bande de tissus ? Si je reste les doigts appuyés sur vos paupières, elles ne s’ouvriront pas. »

Heng hésita encore, mais acquiesça. Il ferma un instant les yeux jusqu’à sentir que l’infirmier pressait ses doigts contre.. il ne voulait savoir quoi. Puis il les rouvrit et, lentement, de sa main libre, vint caresser ces cils qui étaient bien les siens, pendant qu’il tentait de digérer l’information.

Lorsqu’il osa le déranger dans sa rêverie, son interlocuteur lui glissa une phrase qui lui sembla sur le coup assez énigmatique.

« Pour une raison qu’on n’a pas compris, on est tous pareils, ici. Alors même si… même s’il ne m’est pas tout à fait arrivé la même chose, je comprends ce que ça fait, de se retrouver dans un autre… corps que le sien. »
Heng lui sourit, même si c’était inimaginable.
« Vous voulez voir le reste ? »
Il hésita.
« Je dois voir ma tête, si c’est possible. »

Le ménechme hocha la tête et renoua le bout de tissus qui obstruait la vue de sa main gauche, puis l’abandonna quelques instants, pour chercher si quelqu’un avait une surface réfléchissante. Heng, pendant ce temps là, essaya de retrouver les yeux qu’il avait senti lors de son aveuglement forcé, tout en palpant le contours de ce visage qui n’était certainement pas le sien.

Quelques moments plus tard, l’infirmier et une femme qui l’accompagnait (elle se présenta comme Rosalina) revinrent avec ce qui ressemblait à une bassine, ou plutôt une sorte de grande tasse puisqu’elle avait une anse et semblait en céramique. Elle contenait de l’eau, qu’on lui présenta comme venue d’une fontaine trouvée plus loin. (S’il n’avait été troublé par tant de choses à la fois, il se serait demandé comment on pouvait seulement trouver une fontaine au milieu de nulle part, ou si cela voulait dire qu’il se trouvait une ville non loin.)

À la place, il s’approcha, puis plongea le regard dans l’eau, pour attraper tout contour qu’il y discernerait.

Instantanément, il repensa à la formulation du ménechme.

On est tous pareils, ici.

Il en comprit enfin la signification terrifiante.

On essaya de le rassurer mais il n’entendit rien, il était seulement focalisé tout entier sur l’idée qu’il ressemblait comme deux gouttes d’eau à l’homme auquel il parlait, moyennant de rajouter un cache-œil improvisé.

Livide, il essaya de s’approcher à nouveau. Puis, d’une voix chevrotante, mais qui était clairement la même que toutes celles qu’il avait entendu au camp, il demanda à celui qu’il savait maintenant être son double d’ôter le bout de tissus qui masquait encore la moitié de son visage, puis celui qui serrait son cou. Même si c’était bref, il se devait de… tout regarder.

Pendant une courte seconde, cinq yeux aux iris tous si différents se découvrirent pour la première fois.

L’image de ce visage en tout point différent de lui, difforme et terrifiant, se grava en lui si fort que même deux jours plus tard, alors qu’il ne l’aurait plus revue depuis, elle serait encore aussi vive.

Il ne se souvint plus bien de ce qu’il fit après, mais cela impliqua rapidement de s’endormir à nouveau.

Quand il se réveilla, ce fut face à l’évidence que la nuit était tombée. Heng n’avait aucune idée du temps exact qu’il avait passé ici, mais toujours était-il qu’il ne savait rien de l’endroit où il avait atterri et qu’il était logé et nourri gratuitement. Il songea donc qu’il était temps de sortir de là, et si possible de se rendre utile auprès de ses hôtes.

Il jeta un coup d’œil aux quelques personnes qui dormaient à côté de lui. Un nouveau vertige le saisit en constant que tous se ressemblaient presque parfaitement. Il se releva doucement pour n’en réveilla aucun et se dirigea vers la sortie de la tente.

Dehors, il découvrit alors une nuit sans lune ni nuage. C’était la première fois que Heng contemplait l’Esquisse, mais elle semblait bien plus ordinaire que tout ce qui l’entourait.

Son attention redescendit alors rapidement sur le petit camp, qui ressemblait moins à un campement proprement établi qu’à quelques tentes dressées avec des moyens artisanaux, entre lesquelles étaient éparpillés des objets en tout genre. Sans doute étaient-ils là depuis peu. Comme il l’entendait, quelques personnes — encore toutes identiques — semblaient encore veiller. Il les rejoignit et se présenta timidement, puis entendit que l’on s’inquiétait de la présence de créatures à proximité et se porta volontaire pour faire des rondes aux alentours. Un autre ménechme, qui ressemblait tant à l’infirmier de près et sonnait tant comme lui que cela troublait Heng de lui parler, se proposa de l’accompagner.

Ils partirent donc marcher dans ce désert au sable qui ne pouvait venir d’aucun endroit qu’il ait connu sur Terre.  Pour seule arme, on leur avait taillé un bout de bâton de sorte à le rendre relativement pointu.

Heng observa les alentours avec prudence, jusqu’à ce que son acolyte ne brise la glace avec quelque discussion légère. Celui qui, par ironie du sort, en viendrait à se présenter comme un policier, lui raconta quelques histoires sur sa propre vie. Ils en vinrent à discuter de leurs derniers souvenirs, pour y trouver le moment qui aurait pu les faire basculer, ou quelque point commun entre leurs expériences. En vain. Ils étaient de parfaits étrangers l’un pour l’autre et rien ne les prédestinait à se retrouver ici. Personne au camp, d’ailleurs, ne semblait avoir la moindre idée de ce qui se passait.

Plus tard dans la nuit, ils affrontèrent avec difficulté quelques petites créatures qui s’étaient approchés, non sans s’horrifier de découvrir des appareils électroniques aux pattes d’animaux ou des légumes capables de crier.

Heng ne l’aurait avoué frontalement, mais à défaut de comprendre ce qui se passait, il se sentait rassuré de constater que le policier était tout aussi perdu que lui.

Quand son acolyte du jour commença lui aussi à se sentir fatigué, Heng lui assura qu’il pourrait finir la nuit seul et qu’il hurlerait si nécessaire.

À dire vrai, il avait besoin d’un peu de solitude. D’un moment pour réfléchir à tout et rien, comme lorsqu’il conduisait seul et qu’il savait qu’il en aurait encore pour une heure ou plus, avant de se retrouver Maly et les enfants.

Les retrouverait-il cette fois ?

Il soupira et pondéra longtemps le sens de ce qu’il avait vu.

S’il n’était pas sur Terre, il devait être mort, de toute évidence. Réincarné quelque part, sans doute dans un enfer — au sens bouddhiste du terme — qui les retiendrait tant qu’il le faudrait avant de rejoindre un royaume supérieur. Il ne se souvenait pas de quand il avait perdu la vie, mais il avait vécu bien assez de deuils pour savoir que cela pouvait arriver n’importe quand, et à n’importe qui.  

Pourtant, des dires du policier, personne ici ne se souvenait d’être mort. La majorité, même, n’étaient ni malades, ni assez vieux pour mourir de façon naturelle. Pouvait-il vraiment être sûr qu’il était mort ?

Il se passa lentement les mains contre le visage.

Puis il hésita, très longuement, comme s’il était là en train de faire l’un des choix les plus importants de sa vie.

Non, prétendre qu’il pouvait ne pas être mort, dans cette situation, c’était chercher à fuir un constat inévitable.

Il savait parfaitement pourquoi il était là. Et surtout pourquoi, même mort, il était dans cet enfer, et pas n’importe où ailleurs, ni réincarné.

C’était une épreuve. Une nouvelle série de souffrances à endurer, un droit chemin à tracer. Un karma à réparer, des vertus à retrouver.

Pourtant…

Non. Cela ne faisait-il pas, après tout, des années qu’il mentait ?  Des années qu’il se jurait de renouer avec une vie honorable, mais que cela n’arrivait jamais. Des années qu’il s’accrochait à ce qu’il possédait, qu’il accumulait l’argent et les biens, comme s’ils représentaient une fin en soi. À peine quelques jours plus tôt, il avait livré des armes, esquivé de justesse l’arrivée de la police et simplement prétendu qu’il s’était attardé pour emmener un ami chez ses parents.

Même si tous les autres n’avaient aucune certitude, lui, Heng, ne pouvait être dans ce monde pour une autre raison.

De cette seule vérité qui parvenait à se dégager de cette situation, tout le reste sembla découler naturellement. Toute souffrance qu’il ressentait était dans l’ordre des choses. Tout effroi qu’il ressentait prouvait qu’il s’en était détourné. Tout attachement qu’il avait devait être défait face à la séparation. Tout soi qu’il avait devait être reconsidéré à l’aune de ce nouveau corps. Tout poison dont il avait laissé son esprit s’infecter devait être purgé.

Bref, le Dharma le mènerait au seul salut qu’il pouvait espérer à la fin de cet enfer. Dut-il échouer à purger son karma, il tomberait dans un enfer plus sombre encore.

Alors qu’il considérait ces idées une à une et qu’à chaque fois qu’il les retournait il en tirait la clarté d’esprit dont il avait tant besoin, il se fit surprendre par le lever soudain du jour. Le désert lointain et insondable lui apparut d’autant plus vivement.

Au-dessus de lui se dressait un ciel qui à l’aune de ces nouvelles certitudes ne pouvait être une parfaite illustration du principe de l’Anitya. Rien n’y était fixe, tout y changeait avant que l’on ait pu y accrocher son regard. Il n’avait ni début, ni fin, ni identité, ni douleur.

Fasciné par l’enseignement qu’il pensait recevoir de cette ode à l’impermanence, Heng se posa un long moment pour la contempler jusqu’à la graver dans son œil droit.

Ce n’est qu’un peu plus tard qu’un autre ménechme vint le retrouver.

« Vous semblez aller mieux. »

Après quelques échanges, il reconnut l’infirmier. Ils parlèrent un moment des créatures qui avaient attaqué la nuit, son interlocuteur se montrant fort curieux d’en savoir un peu plus sur leur composition. Heng, lui, était plus intrigué par leur signification, qui selon lui devait être lié à la nature même de cet enfer. Représentaient-elles des vices, comme l’attachement aux choses ?

Il se convainquit que cela lui apparaîtrait en temps voulu et qu’il en irait de même pour toutes les autres choses qu’il ne s’expliquait pas — à commencer par ses yeux. Tout avait un sens. Surtout la perte et la souffrance.

Il se le répéta, pour ne pas s’en défaire.
Surtout la perte et la souffrance.

Ce n’était pas un rappel en vain, car même si ce monde n’avait peut-être pas le sens qu’il lui prêtait, il était bien le théâtre de toutes sortes de souffrances et d’épreuves. La première d’entre elles frappa quelques temps à peine après cette nuit douce, quand les Objets revinrent en meute pour attaquer frontalement le campement.

Se sachant vite incapables de riposter, les ménechmes coururent dans tous les sens sans plus se reconnaître, se hurlant parfois des appels qui rebondissaient contre la cacophonie ambiante. Malgré sa maladresse, Heng usa de son pic pour venir en aide à quelqu’un contre l’une des créatures. Il manqua de se blesser douloureusement les yeux de la main, serra les dents, changea de tactique, puis fit juste assez diversion pour que les deux hommes s’enfuient. En vain dans ce brouillard, il chercha la voix rassurante du policier et la voix calme de l’infirmier, mais ils n’y avaient que des voix paniquées, toutes identiques. Il en suivit alors une au hasard, se retrouva face à une autre bête, puis un autre geste de travers lui dénoua le tissus qui entourait sa tête et il dut les couvrir de sa main. Une voix lui cria de courir. Par réflexe il le fit.

Sans savoir exactement où il allait, se relevant dès qu’il trébuchait sur ses propres pieds encore mal apprivoisés, Heng courut à en perdre le souffle et la raison.

Quand il reprit conscience de la situation, le désert l’avait égaré, et pas un homme n’était en vue.

Epuisé par les évènements et par la posture inconfortable de son bras, il se laissa échouer sur le sol puis médita pour calmer son cœur paniqué et endolori.

Il était désormais certain, au terme de ces évènements, que dans cet enfer, toute rencontre était vouée à se finir rapidement en séparation. S’en montrer troublé ne ferait que l’égarer, que l’enfermer dans cette souffrance qui l’avait toujours empêché de se dépasser.

Heng soupira car il ne s’autorisait aucun sanglot. Serait-il seulement assez fort pour suivre de tels préceptes ? Et tout cela pour quoi faire, si ce n’était pas pour revoir ceux qu’il aimait ?

Il ne devait pas raisonner ainsi et il le savait.

Alors il se redressa péniblement à l’aide de son bâton de fortune et poursuivit sa route.

Celle-ci le mènerait tôt ou tard vers des traces de pas. Puisqu’il ne pourrait percevoir leur existence que comme un signe, il les suivrait scrupuleusement.

Celles-ci le mèneraient vers un petit bâtiment perdu au milieu de nulle part, entouré d’arbres affaissés...


Personnalité/récap du perso


(C’est une partie que j’avais d’abord écrite pour moi. Je l’ai rendue lisible, mais en soi, elle n’apporte pas tant de nouveaux d’éléments. Disons plutôt qu’elle récapitule ce que j’ai essayé de suggérer ici et là, et donne un récapitulatif (sans l’histoire ni toute la narration) des enjeux du perso tout en donnant plus clairement à voir comment il va interagir avec autrui.)

Heng a une personnalité que l’on pourrait globalement qualifier de réservée bien que chaleureuse en surface. Comme beaucoup d’asiatiques, il lui importe de garder la face en toute circonstance : incommoder le moins possible autrui de ses émotions — surtout négatives —, se montrer poli et accueillant, témoigner du respect à ses aînés, sourire dans les pires situations comme dans les meilleures, éviter au possible les sujets qui fâchent et régler ses problèmes par des intermédiaires plutôt que par la confrontation. Il sera bien rare de le voir énervé, ou même déprimé, quand bien même il le ressentira parfois, à moins que (comme à son arrivée) la situation soit telle qu’il n’ait guère assez d’appui pour maintenir les apparences.

Tout cela ne dit cependant pas grand chose sur qui il est au fond. Derrière sa façade, Heng sait souvent très bien ce qu’il veut et a une relation plutôt intense à ses objectifs : sitôt qu’il a décidé de faire quelque chose, c’est toujours toute sa personne qu’il engage, et rien de moins. Ses affects, sa loyauté et ses inimitiés sont également très marqués, de sorte que peu de gens à qui il parle plus d’une heure le laissent indifférent. Cependant, cela s’applique surtout aux hommes de son âge, car pour ce qui est du reste, Heng sera particulièrement attaché aux rôles sociaux. Ainsi les aînés doivent-ils être respectés indépendamment de tout ce qu’ils disent et les enfants doivent-ils être protégés par les adultes autant qu’ils doivent être dociles. Il aura aussi tendance à être surpris par une femme qui s’impose trop et moins susceptible de les respecter. Enfin, quand il ressent un certain mépris envers les étrangers, dont il a dû supporter nombre d’impolitesses pour gagner sa croûte et qu’il tient en partie comme responsables des guerres, c’est probablement à eux qu’il sourira le plus fort et auxquels il arrivera le moins à faire confiance.

Un autre aspect important du personnage est qu’il est convaincu que sa présence dans l’Esquisse tient d’une accumulation de mauvais karma tout au long de sa vie, et qu’il ne pourra prétendre à la réincarnation qu’en accomplissant des actions vertueuses et en respectant scrupuleusement les enseignements du bouddhisme. Cela étant, non seulement il ignore les subtilités d’une religion qu’il n’a jamais pratiqué intensivement (il n’a jamais été moine), mais, surtout, il est loin d’être le parangon de calme et de sagesse qu’il aspire à être. Déjà parce que, quoi que sa culpabilité en dise, il a volé, menti et même quelques fois tué, et serait sans doute prêt à recommencer sans trop de scrupule si la situation l’exigeait. Ensuite, il se sait particulièrement accroché aux possession matérielles et à la richesse en particulier, au point d’être incapable de ressentir qu’il en ait assez. Pas dit, donc, qu’il soit capable de faire don de ses trouvailles les plus intéressantes à la communauté s’il ne lui fait pas confiance.

Enfin, bien sûr, toute croyance qu’il ait autour du karma et de la voie spirituelle qu’il doit emprunter, aucune ne suffirait à lui faire oublier la douleur de la perte. Par ailleurs, bien qu’il se pense seul dans cette épreuve, ses proches ayant — il en est convaincu — un bien meilleur karma que le sien, il a le sentiment de manquer à son devoir en les abandonnant ainsi. C’est un attachement qu’il aura beaucoup de mal à laisser derrière lui, s’il le faut seulement. (Façon détournée de dire que je m’attends à ce qu’il abandonne totalement sa quête au bout de quelques jours, ça dépendra de ses RPs…)



Informations obligatoires pour le registre des personnages:


Dernière édition par Eelis le Lun 2 Sep - 22:25, édité 1 fois



(Merci à Ara' pour la super signature ♥)

Kaoren
Non, non, c'est bien plus beau lorsque c'est inutile !
Personnages : Kaoren, Penrose
Messages : 645
Date d'inscription : 22/09/2015
Kaoren
Lun 2 Sep - 22:21
Bon, ça y est, je me suis trouvé le courage de finir la lecture de tout ça. A priori, aucun souci – y'a le "Médecine : Novice (voire inconnu ?)" qui me trigger, mais on va dire que c'est pas grave parce qu'on va probablement changer le système avant qu'il ait l'occasion de s'en servir de toute façon –, donc sans plus attendre, au nom de Voix, de Folie et de Sainte Mirai, je t'accorde ma bénédiction et te rouvre les portes du Laboratoire. Ramen.


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