On ne vit que deux fois

__–Les armes à feu et foudre étaient effectivement des affronts à la beauté esquisséenne, mais il fallait leur reconnaître une utilité souveraine. le lancer fut effectivement habile, mais moins que le tir d’un garde, entraîné à l’utilisation de grenades par l’ennemi, qui comprit le mouvement d’Épiphane, visa et envoya une volée de balles traqueuses, qui décrivirent une splendide et mortelle courbe avant de frapper l’explosif.
__–Lisa et Épiphane disparurent de ce plan.
__–N’existant plus dans la SX, elles furent déconnectées.

__–Quelques instants après, passés par Zeph à reprendre ses esprits, il entendit son ordiphone sonner : un appel téléphonique, d’un numéro masqué…

Ma vision passe au blanc alors que mon avatar se dissous dans la trame de l’esquisse. Je me retrouve dans mon siège comme un idiot, un abrutit peut être. Alors que ma frustration atteint son paroxysme ne me laissant que l’envie de hurler dans un coussin, mon téléphone sonne. Je n’ai pas le temps de penser que je me découvre à décrocher.

« Non mais, les contretemps, c’est pas des défaites hein ? »

__–Il n’y eut aucune réponse pendant quelques instants, puis une voix connue se fit entendre :
__–– Il est vrai. Allons en parler autour d’un verre. »
__–Lisa raccrocha.

Parfois, il suffit d'une seconde pour se rendre compte que l'on vient de faire une grosse connerie. Là je crois qu'il m'a fallut encore moins de temps. Je me précipite pour vérifier à qui de Zeph ou Epiphane vient d'être envoyé le message avant de réenfiler mes astrettes prêt (autant que l'on puisse l'être) à me confronter à mes problèmes.

__–Le message était bel et bien envoyé à Zeph.
__–Toujours était-il qu’à son arrivée dans la SX, Épiphane constata qu’on lui avait donné rendez-vous dans le même bar que précédemment, lors de sa première rencontre avec Lisa.

C’est dans la peau d’Epiphane, enfin, toujours sa version pixélisée que je me glisse dans ma chaise, juste à côté de Lisa.

« Je me disais bien que je te retrouverais ici. Désolée pour le grand boum, je ne m’y attendais vraiment pas, haha… » Assez peu caractéristiquement, ma voix chuta de bien des décibels sur mon rire forcé.

__–Lisa haussa les épaules et prit une confortable bouffée de sa cigarette.
__–« De telles choses arrivent. Elles conduisent, néanmoins, à s’interroger sur le continûment, la poursuite, les conséquences… dans votre cas, pardonnez du jeu de mot, les séquelles. C’est qu’elle est bien infortunée, votre situation, vous voici orpheline de vous-même et enserrée dans ma griffe, de velours certes, mais c’est bien celle-ci que j’appose sur un titre de propriété qui a pour objet votre personne, quand bien-même sa matérialisation est à vous perdue. Elle l’est à moi aussi, mais vous vous doutez bien que je ne suis pas personne. »
__–Le ton de la discussion avait certes considérablement changé, mais Lisa gardait son expression blasée.
__–« Suivez-moi. »

C’est un frisson qui me remonte le long de l’échine.

« Ça je m’en doute, personne de capable ne peut être insignifiant ici haut. Qu’importe les détails, il ne me semble pas être prisonnière de qui que ce soit. Même diminuée, cette notion est antinomique à mon être. »

Je me dresse d’une traite.

« Mais la reconnaissance ne m’est pas étrangère très chère. Jusqu’à maintenant, je t’apprécie et l’appréciation mène à l’entraide, voir l’aide tout court. Et si je suis honnête je considère, qu’au-delà de la partie d’échec que je te dois, une faveur ne serait pas de trop. Tâchons de continuer sur cette lancée et rêvons d’une SX plus belle encore.

Tu voulais m’emmener quelque part, ne perdons pas de temps. »

À côté de moi, un cube d’un bleu cyan apparaît.

Je viens de connecter Saphir à Epiphane par désespoir peut être ?

Je n’aime vraiment pas la tournure des événements. Cette histoire pue le Fromalune à plein nez. Si Lisa ou qui sais-je décide de se pointer chez moi, je ne suis pas sûr de ce que je peux faire. Fermer la porte et prier ? Optimiste au mieux. Fuir ? Peut être en passant par la fenêtre, ce ne serait pas la première fois, mais avec des astrettes…

Probablement que mon plus grand avantage est le temps dont je dispose. C’est frénétiquement je m’occupe de rediriger la localisation de mon ordiphone vers un lieu aléatoire. C’est le début d’une liste de contre-mesures que je continue de réactiver au plus les minutes s’égrainent. Il est difficile de me concentrer sur les deux univers à la fois mais je n’ai pas vraiment le choix.

Je sens le piège qui se referme autour de moi, mais il n’est pas question de m’y faire prendre, pas plus en tout cas.

__–Lisa fit non du doigt.
__–« Épiphane, Épiphane, Épiphane. Je vous en prie, au nom de l’appréciation que je vous porte, il serait fort malséant que vous me fîtes l’insulte de sécréter au moyen de l’organe que nous homo sapiens utilisons le plus, sinon à l’exclusion de tous les autres, sinon à l’exclusion de celui-ci, la pensée que je pourrais bien, en dépit de tous mes détours, atours, contours, pourtours, retours et Château Lastours linguistiques et conceptuels, parler pour ne rien dire.
__–» Je dis ; donc c’est. »
__–Elle se leva.
__–« Abaissez vos défenses et prenez ma main. »

C’est d’une main entendue que je prends la sienne. Mais sans accéder complètement à sa demande, n’acceptant uniquement que de me laisser transporter.

__–Épiphane prit donc la main de Lisa. Son contact était très doux, c’était comme prendre une chose fragile et légère, qu’on ne voulait pas trop serrer de peur de le briser. Lisa regarda l’insecte pris dans sa toile et dit :
__–« Partons. »
__–Épiphane eut alors l’impression d’être propulsée à une vitesse impossiblement élevée hors du bar, dans les rues, puis en l’air et d’atterrir quelque part dans un bâtiment, sans vraiment comprendre où. Tout ce qu’elle savait, c’était qu’elle avait volé sur ce qui aurait bien pu être des kilomètres en une poignée de secondes, pour arriver dans une pièce vide, carrée, en béton froid, où les seuls meubles étaient une chaise style Louis XVI et un immense rideau rouge, qui lui faisait face.
__–« Prenez place. »
__–Ce n’était pas une demande.
__–« Épiphane, vous échouâtes dans votre mission, mais vous réussîtes sur une autre, non moins importante, qui était d’attirer mon attention et de la conserver. J’ai bien peur, en effet, qu’en dépit de toutes vos manœuvres libertaires et vos esquives subtiles et gracieuses, le grand jeu de la petite politique et des mesquineries de notre belle et grande ville se soit posé sur vos épaules comme le phoquon du matin fait seoir ses graciles nageoires sur son perchoir matinal, pour les enserrer et mieux s’y affermir avant de bondir en quête de quelque proie. Car, soyez sans crainte au moins sur un point, nous vous voulons autant de mal que le fauconnier veut à son oiseau de proie, qui lui permet d’obtenir sa cible. Permettez, à ce titre, que je vous présente, en déclinant les siens, la personne qui, ayant eu l’immense bonté de se déplacer en la sienne, désire avec vous s’entretenir comme vous faire passer un entretien, dont j’étais l’ébauche et vous serez l’embauche. »
__–Lisa fit quelques pas de dance et s’arrêta devant le rideau.
__–« Voici donc, qui vous fait grâce et compliment de sa présence,
__–» l’exaltante,
__–» la redoutable,
__–» la raffinée,
__–» l’extraordinaire,
__–» l’unique,
__–» la remarquable,
__–Petite courbette et tiré sur le rideau.
__–« Ma sœur. »
__–Ouverture de rideau, sur… une jeune femme, qu’Épiphane reconnut tout de suite, car elle était souvent dans les médias : tenue de militaire, collants rayés noirs et violets, cheveux teints, air mesquin de chipie, énorme fusil. Le général Raphaelle.

Oubliez le piège, je suis dedans jusqu’au cou.

La seule question, c’est à quelle sauce je vais me faire manger et à quel prix je vais pouvoir vendre ma peau si ça dégénère. Si je devais présupposer le pourquoi du comment je me retrouve ici, c’est moins pour ma démonstration de compétence que pour ma présupposée docilité.
C’est affalé dans la chaise que je reprends un sourire au coin des lèvres.

« C’est du joli monde que tu connais là Lisa. Que me vaut de rencontré sa Sérénissime ? Si c’est pour une partie d’échec, il va falloir faire la file, j’en ai promise une à ta sœur plus tôt aujourd’hui. »

Malgré mon ton provocateur, mes nerfs sont en feu et prêt à réagir à la moindre menace. Derrière moi, Saphir tourne lentement illuminé par son nœud de calcul Color, prêt à agir. Ce n’est pas parce qu’ils disent qu’ils ne me cherchent aucun mal que je vais me laisser surprendre.

__–Émilie, assise sur un trône – proprement ; un trône – encore plus kitsch et décoré que le siège d’Épiphane, leva la main.
__–« Vous pourrez jouer avec Lisa, mais vous êtes mon nouveau jouet, à moi. Je joue avec vous quand je veux et quand je veux, c’est bientôt. »
__–Elle se leva, son fusil presque plus grand qu’elle, mais qui ne pesait rien, sur l’épaule, pour esquisser quelques pas, qui étaient presque dansés.
__–« J’ai dit jouet, pas animal de compagnie. Donc pas de laisse et pas de martinet, du moins, pas en public. »
__–Elle visa une cible invisible, reposa son canon à la verticale, crosse au sol, où il sembla se planter, vu qu’elle put faire un tour et une pirouette comme s’il s’était agi d’une barre fixée au sol, puis sautilla jusqu’à son siège où elle s’affala, d’une façon bien peu princière.
__–« Non, allez. Lisa, ma très chère sœur, la porte. »
__–Lisa hocha la tête et fit tomber le dernier pan du rideau, qui révéla, effectivement, une porte en bois. Rose-Écarlate tendit la main.
__–« Prenez-la, vous aurez les immenses ressources de la DANGER à votre service pour vous rendre votre corps et vous verser un confortable acompte. Vous mènerez votre petite vie, puis quand nous aurons besoin de vous, quand j’aurai besoin de vous, vous répondrez à l’appel. Ou j’enverrai un type vous buter dans votre piaule. Prenez l’autre poignée et vous mènerez aussi votre petite vie, mais de tas de pixels, donc toute pourrite et toute moche. »
__–Elle fit une moue mécontente de gamine, puis tira la langue et reprit son sourire.
__–« À vous. Je n’oblige personne. Pour une fois. »

« Mis à part la menace de mort, c’est un beau discours» Dis-je l’air amusée.

Je m’affale un peu plus encore dans le fauteuil.

« Le truc, c’est que vous vous trompez de chaînes. J’ai rien contre vous aidez vous voyer, à vrais dire, les saloperies politiques je m’en cogne pas mal, voir complètement. Moi je suis deux choses : fidèle et libre. Si tu cherches à m’emprisonner je ne chercherais qu’à m’évader. À l’inverse, mon respect me fait suivre mes proches dans des situations inconsidérées.»

Je me tourne vers Lisa un instant. Un sourire apparaît au coin d mes lèvres.

« Je ne sais pas si ta sœur te l’a déjà dit, mais je considère que je lui dois déjà une faveur. Et à vrais dire, sans les menaces, elle fait une magnifique SXéene. Si tu peux me redonner Epiphane, oublie l’acompte, je ne me ferais pas payer pour un service, je te suivrais comme une amie. Comme tu l’as dit, je ne suis pas un chien, mais je ne suis pas non plus un objet. Je suis Epiphane. »

J’associe la parole au geste en me redressant pour me planter devant la maître du DANGER.

« Et voici donc ma contre offre Raphaëlle !

Moi Epiphane, je t’aiderais mais pas sous les menaces. Si tu penses qu’elles ont la moindre valeur, c’est que surestimes la valeur de la vie dans l’Esquisse, surtout celle d’un esclave. Autant brûler à mort dans une mer de valeurs que de vivre une éternité sans la moindre raison. Et puis, je trouve que tu es plutôt gagnante au final. Tu passes d’une potentielle traitresse à une vraie alliée. Si elle est pas belle ta vie. »

« Ah, si, un désavantage. Il faudra que tu me passes ton numéro, amie. » Dis-je en tendant la main, un large sourire retrouvé.

« Et si ça te plaît pas, tu as toujours ton fusil, vise et fais-moi disparaître autant de fois que nécessaire. Je n’imagine pas que ce soit un problème pour toi.» Derrière moi, Saphir continue de vrombir et quand à moi, je suis plus que prête à esquiver.

__–D’un geste preste, Ulrika visa effectivement Épiphane, pressa la détente… et un clic se fit entendre. Elle lança ensuite son arme, comme si elle ne pesait rien ; arme qui resta en suspension dans l’air, ce qui lui permit de se donner une mine encore plus exagérément boudeuse, en pressant ses deux points contre ses joues.
__–« Vous passez trop de temps avec ma chère sœur. Et je ne dis pas ça que parce que, sa pension pour entretenir cette artiste… » Lisa faisait comme si elle n’avait rien entendu. « Mais bien parce que ça fait beaucoup de mots pour dire les trois lettres du mot oui. Je ne vous serre pas la main, mais personne n’est en train de défoncer votre porte. C’est comme ça que j’accepte une contre-offre ; en ne tuant pas celui qui a l’audace de m’en proposer. Séra ? »
__–Séraphine tendit une carte de visite. Elle avait une subtile nuance de blanc cassé, une épaisseur finement étudiée… Il y avait même des filigranes. À peine Épiphane la prit-elle, que Lisa, d’un geste d’une grâce surnaturelle, glissa son bras sous celui de sa compagnonne – elle semblait en prendre l’habitude.
__–« Partons, veux-tu ? »