Il faut sauver le soldat Jacqueline

__–Beck posa sa tête sur celle d’Even et le serra. Cela dura un petit moment, même après sa question.
__–« J’avais oublié cette sensation. Cela fait si longtemps. »
__–Elle resta encore immobile un moment, Even dans ses bras et elle dans les siens. Elle joua un peu avec ses cheveux bleus. Elle n’avait aucun battement de cœur, son ventre n’était animé par aucune respiration, sa peau n’était ni particulièrement chaude, ni particulièrement froide, c’était comme toucher un tissu très doux, mais à température ambiante.
__–« Merci. À présent, le devoir nous appelle. »
__–Elle passa au travers du corps d’Even, aussi intangible qu’elle avait été tangible, pour arriver derrière lui. Il eut l’impression qu’on lui crachait une fumée âcre de moteur diesel au visage, ce qui le fit tousser et pleurer, avant qu’il ne se souvînt qu’il n’avait pas vraiment de voies respiratoires, dans la SX.
__–« Suivez-moi et je vous mènerai à elle. Discrètement, si nécessaire. Elle ne nous verra que si vous le désirez. »

Après un temps qui lui sembla bien trop long relativement à l’urgence de la situation et à son incompréhension de ce qui se passait, Even se sentit soulagé de voir que Beck n’enchaînait pas sur une nouvelle requête, ni ne lui reprochait de l'avoir mal exécutée — une crainte qui lui était venue sans qu’il ait voulu lui ouvrir.

Le mot “devoir” semblait bien étrange dans la bouche de cette collègue bien trop peu dévouée à leur cause, mais il n’eut guère le temps d’y penser avant de se retrouver asphyxié. Pendant quelques instants, sa vue se brouilla, son corps sembla brûler de l’intérieur et sa gorge tenta tant bien que mal de happer un air respirable. Il se mit les mains sur le visage et inspira profondément, le temps de remettre un peu d’ordre dans ses sensations.

— La discrétion est nécessaire, précisa-t-il dès que la voix lui revint.

Puis il la suivit, prêt à improviser une monture, à se fondre dans le paysage ou à se faire minuscule à nouveau. Curieusement, il ne faisait pas confiance à une créature géante qui défonçait les portes et éventrait sauvagement ses ennemis pour comprendre ce qu’était la discrétion.

__–Décidément peu soucieuse de trivialités telles que la physique, András Beck se dirigea vers le trou qu’elle avait formé et avança, comme sur un pont invisible. Après quelques pas, elle se retourna et tendit la main et son sourire à Even :
__–« C’est par ici. »
__–Il la suivrait sous la forme qu’il désirait. Jemison marcha dans le vide pendant encore quelques temps, jusqu’à disparaître dans un nuage de fumée, qui continua son chemin. Even put constater, au demeurant, que le sous-espace de la COSHA était passée de fourmilière à nuée de guêpes excitées par un lancer de pierre sur leur ruche. Des papiers, des drones, des employés d’entreprises en vestons ou tailleurs, étaient montés dans la tour attaquée par nos deux complices, ou couraient dans tous les sens en contrebas, en quête de quelque chose à trouver et déchiqueter. La voix de Beck, dans la fumée sombre, perça le silence :
__–« Oh, comme je plains ces misérables insectes… N’avez-vous pas envie de tous les écraser de votre talon, quand vous les voyez grouiller ainsi ? C’est pour cela, que je n’ai pas supporté la Ville. Que le sang peut coller aux semelles, c’est infect. Mais enfin, le faire ici, dans l’œil du ciel, ce n’est pas la même chose… Il n’y a pas ce frisson primaire, qui nous renvoie loin et profond, ce délicieux sentiment de sentir un complexe fluide se déverser sur notre peau et notre acier, cette brutale réalité, qui a la beauté d’une rubis à peine sorti de sa mine, cette équation simple ; je tue et tu es tué. Plus que le vin, plus que les femmes, le meurtre me manque… Enfin… »
__–Elle guida Even à un toit et se matérialisa à nouveau.
__–« Notre cible est à l’intérieur, deux étages plus bas. Faites attention, cependant, elle ne vous connaît pas et à sa place, j’aurais piégé tout l’immeuble. »

Even n’était pas certain que marcher tranquillement à l’air libre soit la façon la plus discrète de se déplacer. Surtout dans une telle atmosphère. Heureusement la transformation en nuage le rassura assez pour qu’il se passe de tout commentaire.

Il réfléchit quelques instants à quelle monture il pourrait chevaucher, mais changea finalement de plan quand il repensa aux évènements de la matinée. Il y avait avec eux une créature volante… quel était le nom de ce type d’insecte, déjà ? Peu importe. C’était petit, ça avait plein de pattes, ça volait et surtout une telle forme lui permettrait de ménager ses jambes pendant un petit moment. Even tâcha de l’imiter comme il le pouvait, puis suivit Beck.

Vint ensuite un autre monologue, qu’Even comprit comme il aurait compris le précédent s’il n’avait été hésitant quant aux informations utiles à y trouver, c’est-à-dire moins comme une envolée lyrique macabre que comme une nouvelle anecdote. Une fois Beck avait déclaré ne pas aimer l’odeur de la poudre et de l’acier ; à présent elle déclarait apprécier les sensations associés au sang qui coule ; le lendemain elle dirait peut-être qu’elle préférait les cris d’hommes à ceux de femme et cela n’aurait pas plus d’importance que de savoir qu’Even n’aimait que les aliments chauds ou que Moore remplissait ses tasses à ras bord. Il fallait de surcroît préciser que même si Beck n’était pas la première personne avide de sang qu’il rencontrait, c’était une vision qu’il ne comprenait pas le moins du monde, puisqu’il tuait au nom d’une idéologie. Les odeurs de la mort, en elles-mêmes, ne lui inspiraient que du dégoût que la fierté et la fascination devaient laver.

Quand ils arrivèrent enfin, Beck sembla vouloir lui apprendre la discrétion. Even reprit forme humaine également et se contenta d’un sec :

— Ce n’était pas la peine de me le dire.

Restait à trouver comment descendre ces deux étages et vérifier la situation d’Hamilton, sans se faire repérer par qui que ce soit. Sachant qu’ils pouvaient avoir en face d’eux des dizaines d’agents de la COSHA, comme il ne pourrait y avoir que leur collègue, Even n’avait pas vraiment envie de rentrer à l’intérieur tout de suite, surtout avec un élément imprévisible dans les pattes…

Il se rappela donc que sur les deux drones de poche qu’il avait emmené, il lui en restait un. Comme il l’avait fait avant, il le sortit donc, s’assura qu’il restait de très petite taille, puis l’envoya deux étages plus bas, vers l’une des fenêtres qu’ils avaient aperçu avant d’arriver (car il savait au moins que personne n’y était penché). Il voulait avoir une première vue des lieux avant d’envisager un quelconque plan d’infiltration.

__–Hamilton avait donc été prévenue du fait que sa position avait été découverte. Elle devait s’attendre à une visite, mais sans savoir de quelle nature. Cela dit, put raisonner Even, Hamilton avait dû s’apercevoir que les bots de ce sous-espace ne s’étaient pas dirigé vers elle… Par ailleurs, Beck avait été, et restait, étonnamment sage comme une image. Aucune tentative de contacter Hamilton, elle restait là, debout, sur le toit, son sourire impénétrable, mais résolument hostile sur les lèvres.
__–En outre, sa technique avait fonctionné. Le drone put observer l’intérieur du bâtiment. Un étage de bureau classique, rempli de bureaux dans des petits habitacles. Autant de couverts, d’obstacles à la vue et d’angles morts à couvrir, le tout servi par des parois qui devaient être trop peu rigides pour stopper une balle et trop peu hautes pour qu’on ne pût pas lancer de grenade par-dessus ; donc même la présence d’un mur ne garantissait pas la sécurité… L’endroit parfait pour une embuscade. Cela dit, constata Even, il y avait bien des chausse-trappes, sous la forme de petites tourelles automatiques, d’explosifs contrôlés à distance, mais que des pièges passifs, pas de combattant. Pour quelqu’un du talent d’Hamilton, c’était étonnant, mais pas tellement, si on considérait qu’elle n’avait eu que quelques minutes pour se préparer.
__–Un scan plus élaboré révéla la présence d’Hamilton, dans un bureau fermé, contre un mur sans fenêtres. Ce n’était pas difficile : si une vision thermique n’avait rien donné – signe qu’elle était assez maligne pour ne pas avoir un corps générant de la chaleur –, son radar révéla un tout petit endroit où du mouvement était détecté. Juste assez pour faire penser à, hé bien un rat. Un rat avec une mitraillette, probablement.

Even se sentit soulagé. Sa collègue ne subissait pas un interrogatoire de la Cosha (on lui avait raconté des choses terrifiantes sur les interrogatoires), et semblait même libre de ses mouvements dans la SX. La situation s’avérait enfin un peu plus facile que prévu.

Pour une fois, au lieu de tout ruminer intérieurement, il partagea ses trouvailles avec Beck :
« Je l’ai trouvée. Elle est bien à cet étage. Seule. »
Toujours sur le toit, il marcha vers le côté duquel se trouvait possiblement Hamilton, sans toutefois se mettre exactement au-dessus, des fois qu'elle le perçoive et décide de tirer vers le haut. Il se contenta de pointer du doigt l'emplacement à Beck sans rien dire.
« Mais au vu de la structure qu’elle a créée, il serait trop risqué d’essayer de la rejoindre directement. »
Il ne doutait pas, en réalité, de la capacité de Beck à déjouer un bon nombre de ses défenses et lui ouvrir la voie. Mais atteindre Hamilton et réussir à lui parler, puis la convaincre de leur bonne foi sans la tuer sauvagement, il en doutait un peu plus. Mieux valait éviter toute forme de combat. Il proposa donc une autre approche :
« On doit donc la faire venir à nous. »
Ce qui voulait dire, la convaincre qu’ils étaient deux de ses collègues, et non pas deux hussards qui essayaient de se faire passer comme tels.

Il réfléchit un instant à quelle méthode il voulait utiliser parmi toutes celles qui lui semblaient assez prudentes, puis se décida pour ce qui lui semblait être, sur le moment, l’un des meilleurs moyens de communiquer avec Hamilton sans lui montrer qu’il savait dans quelle pièce elle était (ce qui risquait de la faire paniquer et faire quelque chose de dangereux, ou à défaut mieux se cacher). D'abord, il s’assit sur le toit et se mit dans une position qu’il estimait à peu près confortable.

« Est-ce que tu peux surveiller les alentours, pendant que je tente quelque chose ? Ça m'évitera de devoir faire attention. » demanda-t-il à Beck, en supposant que se tenir prêt à déchaîner toute sa violence sur n'importe quel bot qui les approcherait était une mission qui lui plairait.

En attendant, il se concentra. Puis, il essaya de voir s’il lui était possible d’altérer le bâtiment sur lequel il se trouvait. Il ne voulait pas le déformer, seulement altérer légèrement la texture de ses murs, pour y graver certaines inscriptions. Avec un peu de chance, Hamilton n’aurait pas eu le temps de bien protéger son code, et cela serait relativement facile.
Ce qu’il voulait écrire, évidemment, était quelque chose qu’aucun Dessinateur ne risquait de comprendre. Une formule qu’on lui avait un jour montrée, dont il n’était pas tout à fait sûr du sens exact lui-même, mais qui avait eu assez d’impact dans la communauté cyantifique pour qu’il soit possible que Hamilton l’ait connu. Cette formule s'écrivait, de mémoire, ainsi : HE ≤ ath((εR)³).
Si cela ne prenait pas, mais que l’altération fonctionnait, il essaierait toutes sortes de références cyantifiques, jusqu’à ce que l’une touche. Si par contre il était impossible d'altérer le bâtiment, il allait devoir utiliser un moyen de communication qui traverse les murs... c'est-à-dire du son (ou un marteau-piqueur).

Son drone, lui, était resté à la même fenêtre. Il guettait un mouvement, ou à défaut une réponse.

__–Beck ne semblait pas vraiment s’intéresser à ce que pouvait bien lui raconter Even, ou à la mission en général. Elle l’écoutait, l’observait et le toisait un peu comme une maîtresse d’école écoute un enfant lui expliquer qui sont les différents personnages sur son dessin et accepte d’entrer dans son jeu, avec cette morgue typique des adultes qui, même en l’absence de leurs congénères âgés pour les trouver ridicules, auraient préféré mourir que de s’investir plus que le minimum syndical dans le jeu.
__–« Bien sûr, fais ce que tu as à faire. »
__–Elle lui tourna donc le dos et reporta son attention sur le paysage.

__–La technique d’Even sembla fonctionner, vu qu’il put sans difficulté inscrire ladite formule. Après quelques instants passé sans que quoi que ce soit ne se passe, il entendit une petite voix fluette, de vieille femme, venant de sa gauche, venant… d’un rat. Visiblement, elle avait grimpé la paroi dans un angle mort de la vision du drone – signe qu’elle l’avait détecté.

Hamilton:

__–« Moore ? Mais qu’est-ce que tu fais dans le corps d’un jeune garçon… Enfin, c’est un bon déguisement, je ne vais rien dire. Qu’est-ce que tu fais ici ? Le drone est à toi ? Tu n’as pas trop eu de mal à venir jusqu’ici, j’espère ? Tu as dû déployer bien des efforts, pour venir me chercher… Dis-moi, qui est cette jeune et charmante personne qui t’accompagne ? Je pensais que tu ne trouverais jamais quelqu’un. Ah, non, pardon, ce n’est pas… Comment est-ce que tu as fait pour la trouver ? Est-ce qu’elle ne t’a pas posé trop de problèmes ? Non, ne dis rien, nous n’avons pas le temps. »
__–Elle s’approcha à quatre pattes, avec la célérité du rat sous cocaïne qu’elle était effectivement.
__–« Nous avons une occasion historique, mon petit Moore. Que dirais-tu de faire exploser tout ceci ? »

Quand il put enfin se retrouver face à face avec Hamilton après que son plan ait fonctionné à merveille, Even sentit un nouveau poids tomber de ses épaules. Plus qu’à apprendre où elle était physiquement, et sa journée se terminerait de la meilleure des façons. Plus de collègue aux mains de l’un de leurs pires ennemis. Plus d’infiltration dans des locaux dont il était incertain de connaître l’utilité. Plus d'allié qui suscitait plus de questions qu'il n’en résolvait. Plus rien, sinon Moore satisfait, ses collègues le félicitant et Hamilton rentrée au bercail.

En attendant, Hamilton l’avait assaillie de questions sans qu’il ait eu le temps de répondre à une seule. Heureusement que Beck était étrangement discrète.

« Je ne suis… Moore est avec moi, mais je suis Even. Nous sommes venus vous chercher… »
Se sentant obligé de préciser, il ajouta aussitôt : « Physiquement. Nous aurions besoins de savoir où vous êtes actuellement. »

Concernant sa proposition de faire sauter cet espace, Even la trouvait plutôt séduisante. Même s’il ignorait tout de son importance, la COSHA avait jugé bon de le doter de plusieurs formes de sécurité, et ils avaient pu s’en servir pour accéder à des informations qui étaient sans doute confidentielles.

Cela étant… Déjà d’une, il trouvait bien peu prudent de tenter quoi que ce soit tant qu’Hamilton n’était pas en sécurité, même s’il y avait probablement moyen de poser des bombes logiques qui exploseraient bien après leur passage.

Et de deux, surtout, il n’était pas Moore, donc ce n’était pas à lui d’en décider. Il s’adressa donc, avec sa vraie voix, à son collègue et maître à penser, dont il était prêt à transmettre directement les mots s'il le lui demandait :

« Qu’est-ce que je lui réponds ? »

Tout en attendant patiemment, il se demanda quel lien pouvaient bien avoir Moore, Hamilton… et, visiblement, Beck, puisque la rate avait semblé la reconnaître. L’espèce de proximité qu’ils semblaient partager, au moins assez importante pour que l’un aille sauver l’autre et que l’autre sache directement qui était venu la sauver, le rendait au moins aussi curieux que jaloux, bien qu’il ne sache pas mettre le mot sur ce petit pincement qui le titillait.

__–Hamilton se lécha les mains, puis s’essuya les vibrisses.
__–« Even ? Oooh, je perds la tête, mais bien sûr… Tu as bien grandi, tu es déjà presque un jeune homme, comme le temps passe vite… Qu’est-ce que tu ressembles à ton père… »
__–Beck pouffa, s’étira, ramassa une bouteille vide qu’elle avait récupérée on ne sait où, la balança contre le mur de la cage d’escalier. La bouteille explosa, puis se reconstitua et revint dans la main de Beck, qui répéta l’opération. Elle faisait visiblement ça pour passer le temps. Tout de même polie, les explosions ne faisaient aucun son.
__–« Où je suis ? Oh, mais ne t’en fais pas pour moi, mon petit, euh… Even, Even, c’est ça. Nous avons une occasion historique, peu importe une vieille peau comme moi. Ta sollicitude me touche, mais je n’en ai plus pour longtemps de toutes façons… »
__–Moore répondit à la question d’Even :
__–« Rien à foutre des projets de grandeur de cette vieille peau, ou elle vient de son plein gré, ou tu trouves où elle est, tu me le dis et on la supprime. Si elle fout le bordel, on va perdre notre créneau pour l’extraire. »
__–Cela dit, Hamilton continuait sur sa lancée :
__–« Nous avons là un moyen de sauver tellement de cyantifiques, d’avancer vers une reconquête de la Ville… Je n’ai besoin que d’un petit peu de ton aide, Moore. »

Il avait…. Grandi ?

Even regarda quelques instants Hamilton comme on regarde quelqu’un qu’on est supposé connaître de longue date mais dont tout nous crie qu’on vient de la rencontrer.

Pourquoi pas, après tout. Il avait oublié beaucoup de choses.
Il espéra qu’elle lui raconterait, puis trouva cet espoir bien douloureux, quand elle lui parla comme s’ils n’allaient plus jamais se revoir.

C’est pourquoi, quand bien même il suggérait explicitement de l’éliminer si elle ne revenait pas d’elle-même, Even prit le message de Moore comme une réassurance. Ou du moins, c’était tout comme s’il lui demandait de la ramener à tout prix.

Il allait devoir la convaincre de donner elle-même son emplacement. Ou bien…
Il repensa à la première option que Beck avait proposé. Dans le pire des cas, elle pouvait la localiser. Son prix serait absurde, mais il ne serait probablement pas élevé.

Pourtant, non. Ou du moins pas encore. Il voulait d’abord essayer de la convaincre. Au fond, aller contre les envies d’une collègue l’attristait toujours et il voulait que tout le monde — parmi les siens — soit heureux autour de lui.

— Moore veut vous ramener à lui.
Il chercha ses mots. Il détestait la diplomatie.
— Si on détruit cet endroit, peut-être que personne ne mourra, et qu’ils pourront le recréer dans la seconde.
Certes, il n’en était pas aussi sûr. Mais ce n’était pas impossible. Dupliquer ses objets et ses espaces était une pratique courante.
— Cependant, vous, vous pouvez faire des labyrinthes très sophistiqués. Avec vos compétences, nous pourrons aller bien plus loin.
Il n’en était toujours pas certain. Mais Moore avait toujours plein d’idées pour détruire la Ville, et s’il faisait tout cela pour la récupérer, c’était bien qu’il avait besoin d’elle. (Bon, il parlait aussi de la supprimer, mais Even avait besoin d’ignorer ce qui n’allait pas dans son sens.)
— Dites-nous où vous êtes, répéta-t-il.

__–La bouteille que balançait Beck passa au-dessus du mur qu’elle visait Elle la visa de son doigt, déclama un « pan ! » et celle-ci explosa dans une gerbe de petits bouts de verre, qui disparurent après quelques instants.
__–« Voilà que je dois trouver un meilleur jouet… »
__–Hamilton se tourna dans sa direction. Détala sur trente centimètres vers Beck, puis revint en quatrième vitesse vers Even, puis vers Beck, puis vers Even.
__–« Oh, voyons, euh… Oui… Je crois bien… Non, ce ne devait pas être comme ça. »
__–Elle le regarda fixement, de son regard mi-rat, mi-robotique, en somme assez peu expressif, du moins pas comme le serait un être humain.
__–« Vous ne pourrez pas me récupérer, mon trésor. C’est déjà fini pour moi. »
__–Elle se rapprocha et prit un des doigts d’Even, pour avoir quelque chose à serrer de ses toutes petites pattes.
__–« Vous ne pourrez jamais m’atteindre, là où je suis. Mais, nous pouvons les atteindre eux. nous pouvons riposter. »
__–Une voix féminine familière à Even chuchota très faiblement à son oreille :
__–« Elle ment. Un mot de ta part, je te donne son emplacement. »

La réaction d’Hamilton ne rendait absolument pas les choses plus faciles.

Il sentait ses petites pattes autour de son index. Il sentait l’agacement de Moore, à même pas quelques mètres de lui. Il sentait le souffle de Beck se glisser dans son oreille.

Et à tout ça, il voulait répondre “Je sais”.

Mais il ne savait pas. Et il haïssait de tout son cœur que qui que ce soit se repose sur lui ou lui demande de faire un choix.
Il haïssait autant l’idée d’avoir une option facile, qui mettrait instantanément fin à sa présence ici, mais qui pouvait être la mauvaise.

Ne pouvait-elle pas juste cracher enfin le morceau ? Dans son intérêt, dans celui de tout le monde. Est-ce que c’était si compliqué ? Qu’est-ce qu’elle avait à mentir dans une situation pareille ?

De son déchirement surgit une pointe de colère. Une envie d’attraper et de secouer ce rat jusqu’à ce qu’il fasse ce qu’on lui demande. C’était si facile, en plus, il était minuscule.
— Arrêtez de nous faire perdre du temps.
N’importe qui aurait compris qu’il bouillonnait à l’intérieur.
— Si on ne peut vraiment pas venir, vous n’avez qu’à nous le dire, nous on regardera et on saura que c’est fichu et on arrêtera de… mais au lieu de ça vous arrêtez pas de…
Il ne savait pas quoi dire car une notion telle que “tourner autour du pot et nous mener en bourrique” était trop compliquée à formuler, et même à penser. À ce stade, il voulait juste lui jeter dessus toute sa frustration.
En attrapant le rat entre ses deux mains crispées, il s’énerva encore :
— C’est pas compliqué, dites-nous où vous êtes.

__–Hamilton tapota le doigt d’Even.
__–« D’accord. Attends. »
__–Elle fouilla dans ses poils et en sortit une graine, qu’elle lança. Ladite graine grandit, jusqu’à faire près de deux mètres de haut et retomber avec un grand fracas sur le sol de l’immeuble.
__–« Viens. »
__–Even put comprendre assez aisément qu’il s’agissait d’un sous-espace qui devait lui servir de repaire. Cela dit, pourquoi l’inviter à la rejoindre, pour transmettre une simple information ? Voulait-elle utiliser, par exemple, une carte interactive pour lui donner un renseignement très précis et utilisable par Moore ?
__–Il constata l’exact inverse.
__–Un rapide coup d’œil par réflexe sur son code lui indiqua que, dans l’espace où il était invité, le temps serait considérablement dilaté. Une année à l’intérieur serait une seconde dehors. Il l’était aussi d’une manière très… particulière. Intriquée. Proprement labyrinthique, ce qui était normal. Pour faire simple, toute captation que Moore pourrait faire de ce qui se passerait à l’intérieur serait totalement inutilisable. La conversation d’Hamilton et Even serait tout à fait secrète. Il semblait bien que ni Moore, ni son équipe, ne s’en était aperçu.
__–Curieuse, Beck voulut entrer, mais se retrouva face à un mur.
__–« Je n’ai pas dit “venez”.
__–– Simple, mais invincible. J’apprécie. À tout de suite, amusez-vous bien… »
__–Elle adressa un immense sourire mesquin à Even.

La proposition d’Hamilton ne fit pas vraiment redescendre l’envie qu'avait Even de la secouer.

Où voulait-elle l'emmener, encore ? Qu’y avait-il à lui montrer qui ne pouvait être dit et montré tout de suite ?

Il hésita même à la suivre là-dedans, avant que son oeil ne lorgne sur ce qu'il voyait du code.

Là, en constatant qu’Hamilton avait une idée derrière la tête, il se relâcha un peu.

Tout allait bien, elle allait lui dire.

Ce n'était qu’une précaution contre les oreilles indiscrètes de la COSHA. S'il avait abordé la situation sereinement, il y aurait pensé.

Pressé d’entendre enfin le fin mot de l'histoire, Even se glissa dans le sous-espace.