Le Médecin malgré lui

On m’appelle Sganarelle parce que j’aime Molière (et Molière m’aime) depuis la cinquième. Le théâtre c’est mon délire. Hier j’ai remis un poisson moitié mort dans l’eau, il longeait les bords de la Loire (va savoir comment), Alban m’a applaudi, tout jovial. A dix-neuf ans j’accentue tous mes gestes et je suis un super héros un peu gauche. Oui, et, je l’ai toujours su. Mais en découvrant au réveil tardif aucun plafond et un ciel un peu beaucoup trop mauve, c’est normal que je m’accuse de tous les malheurs du monde !

Du coup, là, grosse panique.

Je m’suis levé en sautant tout en hurlant « maman ! » -car je vivais encore chez ma mère. Mes bras brassaient l’air pour trouver la poignet du placard et moi je criais à m’en tuer les tympans, cherchant du regard où j’avais posé mon draps rouge : mais y’avait plus d’armoire plus de commode plus de pantalon plus de pull plus ma cape vermeille, plus mes superbes lunettes. Rien.

Qu’un caleçon sur les fesses.
Et plus de maman.

Alors j’ai regardé la porte de ma chambre. Seule. Dans le vide. Enfin, sans murs pour la soutenir, ma pauvre porte. J’avoue avoir pleuré. Je suis trouillard pas très courageux un peu vantard mais pas méchant… Mais là j’étais surtout énervé. Suuuuper énervé. Y’avait mes ****** de posters rarissimes sur ces foutus murs ! J’ai baissé les yeux en sanglotant. Le sol était vert. Fluo. Radioactif, l’herbe est flippante. J’ai flippé. Y’a plus de parquet mais que de la verdure. J’ai les dents qui claquent. Plus de chambre, qu’un lit et qu’une porte. J’ai regrimpé sur mon matelas : je ne veux pas de champignon aux pieds bon dieu ! Rien à l’horizon. Je me calme. Ah ! Si ! Une chaise. A trois pieds. Parfait équilibre. Je prends deux secondes pour applaudir l’exploit de l’objet, puis. Dessus, un collier. Chiche ou pas d’aller ramasser la chose ? Comme une pie j’ai foncé, sautillant, j’voulais vraiment ne pas choper une m*rde aux pieds (alors j’ai fini en tailleur sur le siège).

Du coup j’ai un caleçon et un collier doré. Paye ton swagg.

J’ai pas cherché à réfléchir. J’ai passé mes mains sur mon front en glissant jusqu’à l’arrière de ma nuque, et je suis sûr de pas être aussi beau qu’un acteur quand je fais ça. Pourtant je sais que le blond de mes cheveux est en harmonie total avec mon seul bijou, alors avec le mouvement ça pouvait donner un truc cool ou, enfin, mais, pff… mais je ne suis pas un acteur, quoi.

- J’voulais juste être quelqu’un de bien moi. Aaaah, maman, comment marche le micro onde… Je tape mon faciès avec la paume de ma main : le problème n’est pas là Anthony…

Oh ! J’entends un « bzz ». Grand calme, je tourne mollement la tête…. J’ai l’regard d’un tueur aux pupilles azurées –mais d’habitude on voit pas mes yeux, mon masque c’est des lunettes de soleil, m’voyez ?

C’t’une punaise rose ! Quelque chose de vivant ! Elle cohabite avec moi désormais. Seuls, tous deux, qu’une chaise un caleçon un collier un peu d’air de l’herbe fluo et un ciel truqué.

Nous sommes isolés de tout et j’ai peur d’être seul à jamais. J’essaye une conversation avec la bestiole, m’enfin étant pas très sociale ni bon orateur, ça tourne un peu autour du pot :

- Hey. Hey.. On est… Oui, je, enfin, pas tellement mais si tu veux, c’est pas que je, enfin, voilà, tu comprends ? Non ? Raah, tant pis, laisse, je vais me débrouiller.

J’en ai la chair de poule. Margaret (ma punaise) aussi. Je déteste les insectes qui volent. Ces trucs si petits qu’en un soupir ça terminent dans votre oreille pour triturer votre cerveau. La CIA, moi j’vous l’dit. Et tout ça n’est qu’un test d’aptitude. On reconnait enfin mes qualités d’héros, les voisins ont défendu mes actes ; c’est moi qui ait sauvé le chat de madame Beaumont d’un arbuste, c’est moi qui ait éteint le feu de poubelle pas loin du parc, c’est moi qui ai retrouvé les clés de monsieur Lefèvre, c’moi qui ait fait tout ça, c’est à mon tour d’aider les Etats Unis d’Amériques.

Enfin c’est moi qui avais rendu le poisson moitié mort en lui marchant dessus, moi qui avais coincé le chat, moi qui avais foutu le feu, moi qui avais piqué les clés en croyant retrouver celle de ma mère. Mais ça le CIA n’est pas obligé de le savoir hein.

Je n’ai pas grandi. On ne me l’a jamais reproché, alors, j’ai jamais changé. J’voulais être Spiderman. J’ai toujours fait le fier sans avouer les gaffes derrière (la rime stp). Ma première boulette en public, c’est d’avoir retiré ma fausse barbe blanche pour boire un café devant la gamine du voisin : je m’étais déguisé en père noël pour voir ses yeux briller de joie. Elle a chialée toute la soirée. On m’a dit que ce n’était pas grave, qu’elle l’apprendrait de toute façon, que c’est gentil d’être venu… Moi j’ai fait la gueule.

La punaise se rapproche et moi je regarde toujours le sol avec méprit et inquiétude, pensif. J'tripotait l'herbe d'un orteil. C’est doux. L’herbe est douce. Je m’en rends compte alors que le « bzz » sonne faux, ça m’extirpe de mes songes et d’un coup de main et la bestiole valse.

Margaret, tu vas me manquer.

Un peu moins que mon nouveau compagnon le pingouin du sud. (car il faut beau) (enfin j’crois) (il neige pas en tout cas) (but where is the sun??)

J’aurai pu me morfondre encore six heures, être hostile et pessimiste comme un attardé, rien n’aurait changé. Alors j’ai conversé avec François (mon pingouin). Il avait l’air normal jusqu’à c’qu’il chante en mandarin. Du coup je lui ai pris ses lunettes de soleil (pas trop mon style), en échange je lui ai passé mon collier.