__–Piotr envoya le papier à la poubelle. Encore du baratin d’étudiants en socio du Sorbet Nouveau, qui pour se faire remarquer, avaient décidé de polluer les rues de leur prose indigeste. Piotr était quelqu’un de sérieux. Expert-comptable de Synsisto, il n’avait eu à accorder à ces fadaises que le temps de son trajet en métro, les trois arrêts qui le menaient à l’arrêt de bus, dernier changement avant de rejoindre son bureau. Il n’avait pas eu le temps de finir de lire ce torchon, mais cela n’avait aucune importance. Il avait déjà fini d’oublier ce ramassis de stupidités, alors qu’elle n’avait même pas encore touché le fond de la corbeille.
__–« Non, vraiment, a-t-on idée de ce livrer à de pareilles âneries et de les répandre dans toute la rue. »
__–Oublié le contenu certes, mais le geste était resté, l’avait indigné dans quelque chose de profondément ancré en lui, tellement qu’il s’était senti obligé de verbaliser cette pensée, comme si la faire exister dans ce temps très court, hors de lui, était une revanche, une réponse à l’acte de ceux qui avaient imprimé des milliers de ce tract et l’avaient largué dans les rues dès le petit matin.
__–« Cela dit, le geste, lui, il vous a marqué, non ? »
__–Piotr sursauta presque. Piotr ne sursautait pas, il n’était pas quelqu’un qu’on pouvait surprendre. Une voix fluette, à sa gauche, justement du type de personne qu’il conspuait intérieurement tout le temps et extérieurement tantôt : un jeune crétin, habillé comme un étudiant. Que faisait cette étrangeté ici, au traits de la Ville ? L’université était pourtant située au craie ; on avait judicieusement envoyé les étudiants loin des personnes sérieuses…
__–« Je dis : le geste, il vous a marqué. Non ? Voilà, quelque chose à raconter. »
__–Sûrement un petit plaisantin. Piotr renifla bruyamment.
__–« Au moins, j’aurai quelque chose à dire. Pas du baratin.
__–– Un trait d’esprit ! Habile. Vous serait-il venu, si vous n’aviez jamais ramassé ce papier… Nous ne le saurons jamais. Une chose semble évidente, cela dit. Maintenant, vous êtes cool. »
__–Il lui envoya un immense sourire. Un sourire polisson, mais qui avait quelque chose de rassurant. Quelque chose, qui le prenait Piotr par la main, remontait le long de son bras, une douce chaleur, qui atteignait son épaule, puis son cœur…
__– Ah, non.
__–Ce qui remontait son bras jusqu’à son cœur, c’était une toxine.
__–Piotr eut un hoquet.
__–Il mourut avant d’avoir touché le sol.
__–Lui et tous les messieurs sérieux qui attendaient le bus à ses côtés.


__–La pub, sur l’arrêt de bus, vantait une offre immobilière, à la Petite frontière, au monts de la Ville.
__–Le panneau s’éteignit.