Elles commençaient vraiment bien ces vacances au Japon. Mes parents avaient accepté de me laisser me balader sans eux, de toute façon, ils ne pouvaient refuser, j'étais celui qui tenait une batte. Mon petit frère avait profité de ma liberté pour me filer une liste de course, il voulait que je lui rapporte un tas de sucreries qui lui étaient proscrites à cause de son diabète, je l'avais mise dans ma poche. Je trouvais ça drôle quand sa maladie se manifestait, il sautait partout pendant une bonne heure avant de s'écrouler. J'allais donc sans doute acheter ce qu'il souhaitait mais pas tout de suite, j'avais des priorités.

Je voyais enfin des stands de frappe de mes propres yeux, c'était d'ailleurs dans l'un d'eux que ces types m'avaient proposé de participer à un match, il leur manquait un joueur. Je ne savais pas si c'était parce que j'étais un européen ou alors le fait que j'avais usé mes crédits au stand uniquement pour regarder la balle passer devant moi, en France personne n'en tirait des aussi rapides,  j'en profitais comme je pouvais, en tout cas le lanceur venait de m'en donner une facile. Il ne fallait pas me sous-estimer, l'envoyer hors des limites à l'aide de mon Triple Buster Swing du Tigre Rouge fut une formalité.

Lors de mon deuxième passage à la batte, tout chez le lanceur fut différent, un air sérieux, une gestuelle fluide et une balle bien plus aiguisée qui alla dans le gant du receveur. J'hésitais entre la joie et la déception, il en avait encore dans le ventre mais cela m'était toujours pénible de lutter contre mes instincts et de laisser la balle filer, d'ailleurs le coup avait failli partir.  Mais il était encore trop tôt. Trop tôt pour briser sa confiance. Son second lancer dépassa mes attentes et, encore une fois, les limites de l'aire de jeu. C'était le pied de fracasser de bonnes balles, mon rire s'échappa. L'atmosphère changea. On me traitait parfois de démon quand cela se produisait mais je n'y pouvais rien, batte en main, je m'exprimais enfin, elle chassait ma timidité naturelle. Les autres joueurs furent un peu effrayés de mon attitude, d'habitude les gens l'étaient plus tôt et me prenaient pour un délinquant à cause de ma cicatrice en croix, enfin, ce n'était pas de ma faute, je désirais tester mon nouveau gros bâton sur un pot dit "incassable" mais les éclats avaient confirmé qu'il ne l'était pas tant que ça.

Je m'ennuyais. Les lanceurs se pensent toujours en sécurité sur le monticule, sûr d'eux, des petits rois de la colline jusqu'au moment où l'illusion se dissipe, ils finissent par comprendre que le terrain n'est qu'un enclos dans lequel ils ne sont que de simples proies. Il venait de capter qui j'étais. Le loup dans la bergerie. Trois balles en dehors de la zone. Plus qu'une et il m'octroyait la première base. Ce n'était pas amusant de s'y retrouver de cette manière. Il me suffisait de frapper volontairement dans le vide sur ses deux lancers suivants pour arriver au compteur fatidique : trois-deux. La balle déterminante. Si elle atterrissait dans le gant ou que je ne frappais que l'air, j'étais éliminé. Devant cette perspective et sur un sursaut d'orgueil, le lanceur mit une force phénoménale dans son geste. J'étais prêt. Bras, armés. Genoux, fléchis. Appuis, ok. La balle se rapprochait à toute vitesse. Rotation, parfaite. Puissance, maximale. Impact... Dans la tête.

Le noir complet. J'étais tombé sur une pomme. Du moins c'était ce qu'elle semblait me mimer. Je m'excusai, elle avait l'air énervé. Mais. Quoi ? Une pomme ? Qui mimait ? Avec les gants, les bottes et la moustache de... Mario ? Je n'eus pas le temps de réfléchir à la situation qu'elle me gifla. Elle s'arracha ensuite la moustache, la plaqua derrière elle et s'en servit comme des ailes. Une fois à la hauteur de mon visage, elle les replia sur elle comme les coutures d'une balle de baseball, rangea ses mains et ses pieds puis plongea sur moi. Ca faisait mal. Ce moustachu fruité m'en voulait, il recommença. Je saisis alors ma batte et tentai de le frapper mais il esquiva mon coup. C'était la première fois que je ratais un swing involontairement. J'essayai à nouveau, encore un échec. Trois autres swing, pareil. Chaque swing était plus puissant que le précédent d'après le bruit qu'ils produisaient lorsqu'ils fendaient l'air. Six. Douze. Dix-huit. Quarante-deux. J'échouais constamment mais je ne m'étais jamais autant amusé. L'homme-pomme de baseball se posa. Ses gestes m'expliquaient que je n'étais pas bien, que je pourrais tuer quelqu'un comme ça. Il se re-transforma en balle et roula au loin. Pas question de perdre un tel partenaire de jeu ! Je le poursuivis à travers un décor étrange surplombé par un ciel rose tout aussi bizarre. Il disparut et me laissa face de ce qui paraissait être une Ville. Des gens pourraient sans doute m'expliquer quel était cet endroit grotesque, je réalisai alors que. Je ne me rappelais plus de mon nom. Qui pouvais-je bien être. Je fouillai mes poches à la recherche d'un titre. Un bout de papier :

"- bicekui au chokla
- suuuuuusset
- koka
- sor b ala frèz
- jude paum"

Je n'avais aucune idée de ce que pouvait signifier ce charabia mais je savais qui j'étais : Jude Paum.