Morphée n’a jamais eu de chance. Cette particularité était devenue un symbole, un talent inimitable que seul le jeune homme était capable de démontrer. Aussi, poussés par un instinct de survie tout naturel et, bien que cruel, assez compréhensible sur le fond, la plupart de son entourage l’évitait soigneusement afin de ne pas subir la même chose, ayant d’après eux suffisamment de problèmes comme ça. Morphée a donc suivi son petit bout de chemin seul, résigné à l’idée que personne ne l’aimerait vraiment et qu’il était plutôt inutile. D’aucuns en venaient même à penser qu’il était maudit. Cependant, il y avait bien une chose qu’il adorait plus que tout et qui, étrangement, était imperméable à sa maladresse naturelle et à sa propension à être toujours tête en l’air : la science. Elle représentait tout ce qu’il n’avait jamais espéré – et en plus elle ne le rejetait pas. Aussi se donnait-il corps et âme à ce qui était pour lui bien plus qu’une matière.

Morphée Sylvain se réveilla dans l’Esquisse peu après ses dix-neuf ans, alors qu’il était plongé dans ses études, le Bac S en poche avec mention Très Bien. Seul le nom de Murphy lui revenait en tête : il décida d’en faire son nom, puisqu’il ne se souvenait pas de sa véritable identité. Évidemment, il ne se rendit pas tout de suite compte que sa malchance ne l’avait pas quitté lorsqu’il se retrouva nez-à-nez avec un cortège de personnages en blouses cyan… les cyantifiques. Ceux-ci sautèrent immédiatement sur l’occasion d’avoir une petite main pour effectuer les tâches les plus ingrates qu’eux, serviteurs de la cyance, ne pouvaient exercer. Remarquant son addiction pour la science, ils lui promirent monts et merveilles et Murphy les crut naïvement, totalement emballé. Ainsi commença son calvaire, bien que celui-ci fut différent des autres dessinateurs. Comme le voulait sa loi, ce qui devait arriver arriva : il fut enrôlé comme cobaye et larbin pendant des jours et des jours, encaissant les coups et les expériences bizarres sans en connaître le fond ni la pensée. Ainsi commença sa métamorphose : des cornes noires poussèrent sur les côtés de son crâne ; le blanc de ses yeux devint d’un noir d’encre tandis que ses iris virèrent au blanc ; ses cheveux, jadis noirs et crépus, se transformèrent en mèches pâles ; ses oreilles se déformèrent pour pointer vers le bas ; son teint hâlé devint blafard.

Désespéré, Murphy ne sachant plus quoi faire se résigna à son petit rôle ingrat de serviteur. C’est alors que les événements du phare le poussèrent à saisir une occasion rêvée : il pouvait enfin s’enfuir ! Bien sûr, il n’eut pas autant de chance que les dessinateurs guidés par les rebelles et se retrouva tout seul. Débarrassé de ses apparats de cyantifique, mais affublé d’outils farfelus et utiles ; Murphy décida de partir en quête des mystères de cette Esquisse qu’il n’avait jamais pu découvrir.