& I fell down » Cléa

Cléa s'était assoupie près d'un arbre, sans crier gare. Ces derniers temps, elle avait beaucoup maigri et ses magnifiques cheveux avaient été coupés pour qu'elle se souvienne qu'il fallait qu'elle mange. Il lui arrivait très fréquemment de s'endormir n'importe où et n'importe comment, parfois même au beau milieu d'une conversation. A vrai dire, elle en avait assez de ces fichues règles qu'on lui imposait, et de ses punitions qui, à chaque fois, brisaient son cœur d'enfant. Pour échapper à tout ça, donc, elle dormait beaucoup et somnolait très fréquemment, comme si c'était possible de fuir encore plus ce monde d'adultes qu'elle détestait.

Ces rêves étaient dignes de la plus pure innocence et de la plus fertile imagination. Elle nageait dans des océans d'hirondelles, marchait sur des alligators en forme de cookies et parvenait à chevaucher le vent tant il était docile. Elle riait à s'en décrocher la mâchoire et ses cheveux étaient aussi dorés que les arbres qui bougeait pour la transporter vers une cascade de fourchettes parlantes et de lucioles violettes. Il n'y avait pas plus heureuse qu'elle, mais une note détonnait dans ce parfait ciel au dessus de sa tête. Ce ciel d'ailleurs un peu étrange, mais passons. Oui, il y avait bel et bien une imperfection dans ce rêve, et c'était bien le fait qu'elle savait, tout au fond d'elle même, qu'il fallait quitter cet endroit, que tout n'était que son imagination et qu'on ne lui pardonnerait jamais le crime d'avoir, ne serait-ce qu'une seconde, possédé un coeur.

Elle ouvrit alors doucement les yeux, contrainte de s'en sortir, malheureuse de devoir le faire. Inutile de vous décrire sa réaction lorsqu'elle ouvrit les yeux sur le monde dont elle venait juste de rêver. Elle se pinça plusieurs fois, mis un moment à essayer de se rappeler comment elle était arrivée là, en vain. Elle se leva doucement, s'appuyant à l'arbre qui avait la forme d'une canne à sucre. Ses yeux se mirent à pétiller. Elle couru aussi vite qu'elle pu dans l'herbe verte (à pois, bien sur) et s'arrêta net. Le vent bousculait ses cheveux qui arrivaient désormais à sa taille, plus blond qu'ils ne l'avaient jamais été.

Grande enfant, elle ne put que pleurer devant ce rêve qui prenait enfin forme. Mais, grande naïve, elle ignorait que ce monde serait son pire cauchemar. Laissons le temps au doute de s'installer car, vicieux, il prendra bientôt tous ces rêves et les changera en peur incommensurable de rêver éveillé. Quand la réalité devient son rêve, aussi grand que soit notre coeur, il est très dur de retrouver qui on est, n'est ce pas, petite, douce, adorable Cléa ?

Prends-garde à toi. L'esquisse sera ta prison dorée.