Contextes
Dim 14 Jan - 19:22
Contextes
Esquisse des Brises
C'était en 2012.
Ou peut-être quelques années après 2012. Après tout, l'Esquisse ne date pas d’hier. Ses premiers habitants non plus, en fait. C'est d'ailleurs à peu près la seule chose qu'on puisse dire d’eux sans relancer un interminable débat.
En tout cas, qu'on soit arrivé ici hier ou la décennie dernière, tout le monde est là depuis 2012. À partir de là… chacun mesure midi à sa porte. D’après la voisine du dessus, il s’est écoulé « au moins cent quintes » depuis le Clocher, quoi que cela veuille dire. Chez l'explorateur d'en face, on a vu les espiaigles revenir dix fois de leur migration et la cocotte-minute chanter huit fois depuis leur dernier passage. À en croire le vendeur de journaux, le CVC a changé quarante-cinq fois de secrétaire et c'est la dix-septième fois depuis le début de sa tournée qu'on lui demande d'expliquer le sigle.
Vous, vous avez compté à peu près trois jours depuis le moment où vous avez brutalement ouvert les yeux sur ce désordre.
L'Esquisse, comme on le nomme par ici.
On ne sait pas trop ce qu’elle est, ni ce qu’on est par rapport à elle. À vrai dire, on ne sait pas non plus pourquoi on est là, ni pourquoi on s’y retrouve parfois sous une forme différente. Nombreux sont ceux qui ne savent même plus à quoi ils ressemblaient, avant, ni qu’il y a pu avoir un avant l’Esquisse. L’un aura un bras supplémentaire, l’autre perdu la parole. L’un aura retrouvé sa jeunesse, l’autre perdu l’esprit. L’un sera dans le corps d’un animal, l’autre, infortuné, ne sera plus qu’un objet parlant. C’est que l’Esquisse en compte beaucoup, du mécanique au presque humain et il n’est pas toujours facile de savoir si on a affaire à quelque chose d’inerte, à un animal ou à l’un de vos semblables.
Soit. Peut-être qu’à défaut de quand et de qui vous êtes, il faudrait préciser où. Ce qui est sûr, c’est que dans l’Esquisse, le ciel est globalement mauve quand vous levez la tête, qu’il ne s’y trouve pas de soleil et que la lune est un morceau de fromage qui rebondit. Hier, vous avez cherché l’Inspiration pour y faire trempette, en pensant qu’il suffisait de suivre les lampadaires qui poussent à perte de vue dans les plaines pour la trouver. Finalement, vous avez adopté une gelée de compagnie, fui une nuée de pamplemouches géantes et vous voilà, vous ne savez trop comment, dans un chariot qui revient des Monts Vêtus.
Alors, le regard perdu dans la contemplation d'une jeune éolienne dont les pales éclosent à peine, vous faites le point. Quoi qu'il en soit, vous allez probablement rentrer en Ville, passer une nuit à l’Hôtel et partir décrocher l’une de ces offres d’emploi qui pendouillent un peu partout. Il paraît que les Hussards azur cherchent des gens dégourdis pour des missions plus ou moins louches, mais bien “payées”… pour ce qui sert d'argent ici. À défaut, il y a de la concurrence : le Syndicat des marchands, les Magendarmes, ou même les fromineurs proposent toujours une babiole, un repas à l’œil, un service en échange d’un autre.
La nuit tombe soudainement, comme à chaque fois. La lumière disparaît, l’Esquisse est plongée dans le noir aussi soudainement qu’une pièce dont on aurait éteint la lampe. Vous avez de la chance, un de vos compagnons de voyage a un corps qui brille dans le noir, aussi votre trajet peut-il continuer sans trop d'encombres. Il y en a qui se réveillent avec des particularités plus utiles que d’autres, songez-vous, avant de poser un regard compatissant sur cette femme dans un corps de banane qui vous accompagne. Trop longtemps, qu'elle est là. Pas une Tempête, pas une pharmacopée miracle, n'a pu lui redonner une apparence un peu plus humaine.
Vous regardez les lueurs fluorescentes s’étaler sur la rampe du chariot. Derrière vous, alors que vous vous attendiez à observer le désarroi de ceux qui vous suivent, désormais plongés dans le noir, c'est un autre spectacle qui s'offre à vous. Chez eux, on n’a point de lumière, mais on a trouvé une étrange mixture à se mettre dans les yeux pour voir dans la nuit. Plus loin, on a capturé un crapaud à tête de lampe-torche, équipé le chariot de phares portatifs, ou simplement commencé à discuter pour voir s'il y avait de quoi en créer un en commun. Bientôt, c’est toute une colonne de lueurs qui chemine derrière vous, sous les regards amusés et les commentaires des campeurs à peine installés sur des talus avoisinants. Que ce soit dans les chariots ou sur les bords des routes, chacun y est allé de sa créativité. On n’est jamais totalement taillé pour son séjour dans l’Esquisse, mais elle est ainsi faite qu’on peut toujours s’y dessiner un chemin.
Il en va de même face à toutes ces choses qui nous échappent encore : le réveil inexpliqué, les montagnes habillées, le fleuve alambiqué… Ces absurdités, certains les étudient, d’autres les acceptent, d’autres encore les admirent – il est vrai que l’Esquisse est parfois belle. Pas un jour ne passe sans qu'une expédition ne quitte la Ville, sans qu'un poème ne la célèbre, sans qu'un marchand n'essaie de le revendre devant le Clocher, ou sans qu'un nouveau groupe de téméraires ne tombe dessus, ne s’en empare et ne s'en inspire pour tracer les contours de nouvelles histoires.
Telle est l'Esquisse, un monde qui s'écrit et se réécrit au gré de vos desseins – et parfois des siens.
C'est maintenant à vous de prendre le pinceau. Quoi que vous en fassiez, vous laisserez votre marque quelque part.
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Esquisse des Sables
Ce n'est pas son monde. Et ce n'est pas un rêve.
C'est à l'instant précis où l'anxiété lui serre le coeur que l'être humain sait.
Le ciel n'est plus qu'un tourbillon d'images en désordre, comme un écho à ses sensations secouées. Par-delà ce flot qui dévore jusqu'à l'horizon, il croit voir une aube là où il n'y en a que la teinte mauve. Mais ce n'est pas un rêve. Alors quoi ? Un autre monde ? Une nouvelle dimension ? Et le reste ? Qu'est-il seulement advenu de la vie qu'il a laissé derrière lui ? Quel est ce corps dans lequel il n'est plus certain de se reconnaître tout à fait ?
À l'étreinte de la peur et du danger vient s'ajouter la pression de l'inconnu. Chaque pas fait de ses mirages une nouvelle absurdité. Pas de téléphone. Pas de poste de police. Pas de panneau pour lui indiquer la route. Rien que des questions dont la réponse échappe inexorablement à ses sens. Alors sa seule certitude s'étoffe ; ce n'est pas un rêve, c'est la réalité et il doit survivre. Et pourtant, il ne sait faire face ni à la solitude, ni à la faim, ni aux dangers qui l'attendent. Il ne voit autour de lui que des inconnus, des ingrédients dont il ne connaît pas le goût et des refuges de fortune qui ne le sauveront pas. Comble de l'ironie, chacun des objets, chacune des créatures qui composaient son quotidien apparaît désormais à l'état sauvage ; meubles, animaux et plus encore prennent soudainement des airs effrayants, sinon monstrueux, lorsqu'ils se dressent face à lui.
Parmi ses congénères, certains vivent au présent et s'adaptent peu à peu, quitte à abandonner ce qui les rendait humains pour s'adapter. Quelques téméraires se laissent porter par l'espoir de trouver une sortie, d'autres par l'ambition de prendre possession du monde - aussi inflexible soit la réalité. Nombreux également sont ceux qui s'abandonnent à l'abîme, au péril d'en sortir plus monstrueux qu'elle. Tous cherchent à leur manière une réponse à ces questions angoissantes.
L'existence de cette réponse est la seule chose qu'ils ne concèderont pas à ce monde. En douter serait choisir de mourir seul ou mourir fou, alors ils piétinent pour la plupart la voie de l'illusion. Certains se lient, beaucoup s'allient, tous se rallient à ceux qui semblent marcher dans la même direction, ceux qui cherchent la même réponse à leurs propres questions. Trop de murs les en séparent pour seulement l'apercevoir, mais autant d'âmes les défient à leurs côtés.
Abattre ces obstacles, et traverser les gouffres de ce monde sur leurs ruines. Répandre l'espoir de ceux qui l'ont porté, le rendre à ceux qui l'avaient perdu et accueillir parmi eux ceux qu'il n'atteint plus. Trouver leurs explications ou les fonder malgré tout. Découvrir et comprendre cette terre, arbitrairement baptisée "l’Esquisse".
Apprivoiser cette nouvelle réalité ou la défaire. Une main sur l'arme qui défendra leur vie, l'autre agrippée au pinceau qui la redessinera, tous s'apprêtent à corriger à leur manière les traits de cette curieuse histoire.
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