[11] Tout commença sous cet étrange ciel rosâtre, un jour, hors du temps. Éblouie, ébahie, surprise, choquée, elle n'aurait su démêler le vrai du faux, la réalité du rêve à cet instant. Puis elle les avait vu, eux, les innombrables peluches sautillantes. Ces lapins immaculés qui avaient marqués ses anniversaires, un par ans. Quinze jouets se dandinant autour d'elle en la dévisageant de leur petites billes rouges et brillantes. Elle avait eut beau se pincer une demi douzaine de fois, la douleur cuisante et la marque rouge embrasant sa peau diaphane lui avait vite fait comprendre qu'elle ne rêvait pas. Et puis il y avait le seizième, immense, la dominant de deux ou trois bon mètres. Il s'était penché, l'enfermant dans son ombre, la dominant. Son pelage noir, ses yeux dorés, le souvenir la frappa brusquement. La veille, elle avait apprit la disparition de sa mère et son père avait déposé dans sa chambre cet ... anomalie obscure. Les petits lapins s’étaient agités, s'attaquant à l'erreur, à l'intrus alors qu'une voix déformée s'échappait de la gueule pleine de crocs acérés de la peluche géante, effrayante. " Bon anniversaire". Après cela, elle se souvenait seulement d'avoir couru au milieu de paysages tous plus anormaux les uns que les autres, et ce jusqu'à l'épuisement. Elle s'était endormi aux pied d'un arbre au tronc violet dont l'écorce sentait le linge propre et les feuilles, bleues, tombaient jusqu'au sol, formant un rempart autour d'elle.

[12] Lorsqu'elle s'était réveillée, seuls deux lapins se trouvaient auprès d'elle, en piteux état, ainsi qu'une étrangère qui mangeait une pomme braillant pour qu'on la relâche. Elle du se frotter les yeux une bonne minute avant de comprendre qu'elle ne rêvait pas. Se redressant d'un bond elle fit face à la jeune femme, qui était vraisemblablement son aînée et cette dernière abandonna la torture de la pomme qui s'enfuit en brassant l'air de ses feuilles. Elle la regarda, les yeux ronds comme des soucoupes, avant d'ouvrir la bouche sans trouver les mots et ce fut finalement cette dernière qui engagea la discussion :

" Bienvenue dans l'Esquisse, je m'appelle Phi ! Il faut pas traîner toute seule comme ça tu sais ?"

S'en était suivi un débat sur la réalité de cette situation, sur ce monde que la jeune femme appelait Esquisse, ses dangers, ses avantages, les objets. Phi avait insisté sur ce point, martelant qu'ils étaient tous dangereux et qu'ils finissaient toujours par se soulever contre eux. Elle avait dit cela en fixant les deux lapins blancs avant de lui conseiller de les planquer dans la base au risque de créer un mouvement de panique. Elles avaient marché toute la journée, qui n'avait d'ailleurs jamais parut aussi longue ! Lorsqu'enfin une structure gigantesque s’était dressée. Phi l'avait présentée comme étant la Base, un endroit où elle serait en sécurité et où elle pourrait d'avantage s'habituer à sa nouvelle vie. La demoiselle semblait aussi réjouie qu'inquiète en l’entraînant, mais quand elle la questionna, aucune réponse ne lui parvint. Le duo avait alors déambulés entre couloirs et salles toutes plus extravagante les unes que les autres. Elle était resté muette, se contentant de suivre sa guide  les yeux écarquillés devant tant de nouveautés, d’étrangeté. Quand son ventre s'était mis à gargouiller Phi l'avait mené à la cuisine, côtoyant l'infirmerie, ce qui paraîtrait insensé dans le monde d'où elle venait, mais qui, au milieu de ce chaos, n’était pas plus dérangeant que cela. Sa guide lui avait offert un petit pain orange fluo au gout de pizza et lui avait ensuite montrée le dortoir, lui conseillant de ne pas laisser traîner ses affaires. Après avoir achevé la visite, Phi l'abandonna pour se diriger vers la salle de bain en la poussant à faire de nouvelles rencontre. Elle était toutefois timide, plutôt réservée, et n'osa pas s'introduire au milieu des groupes et conversations, préférant le calme du dortoir où il y avait peu de monde. Morphée l'emporta rapidement une fois qu'elle eut posé la tête sur l'oreiller, étonnée d'être heureuse d'avoir quitté sa routine ennuyeuse pour une vie farfelue et futurement mouvementée. C'est donc le sourire aux lèvres qu'elle s'abandonna, ses deux compagnons sous son jupon.

[13] Ce n'ai que le lendemain, au milieu de l'agitation générale pour une raison qu'elle ne comprenait pas, qu'elle croisa à nouveau Phi. Cette dernière lui expliqua la situation, mais elle refusa de quitter l'endroit, elle n’était pas prête et sa guide l'avait mise en garde contre les dangers extérieurs. Elle ne voulait pas être un poids pour les autres, elle devait d'abord s'habituer à l'Esquisse, si tant est qu'on puisse s'y habituer, et devenir plus forte. Car ici elle en avait la possibilité. Phi la laisser alors après lui avoir indiqué le chemin de l'armurerie. Elle mit beaucoup de temps à s'y rendre car malgré les indications claires de son aînée, son sens de l'orientation est vraiment désastreux. Mais une fois dans la grande salle, ce fut une surprise de taille. Rien ne ressemblait à ce qu'elle avait imaginé, elle se cru dans un cartoon aux possibilités infinies et trompeuses à la fois. En observant d'autres personnes tester les objets contenus dans la salle, une ride de concentration se forma sur son front. C'est en avisant une énorme paire de ciseaux rouillés enveloppée de bandelettes sales qu'elle trancha. Attrapant l'objet elle alla se réfugier dans le jardin. Un endroit qu'elle avait aimé dès son premier regard sur la serre. Là elle entreprit de nettoyer le ciseau avec des chiffons trouvés dans la cabane en bois perdue au milieu d'un végétation plus exotique qu'elle n'en avait jamais vu. En fouillant dans cette dernière elle parvint même à trouver du fil et une aiguille qui lui permirent de raccommoder comme elle le pouvait ses fidèles gardiens. Elle ne comprenait pas encore le lien qui l'unissait à ces créatures, mais celles ci l'avait sauvé alors elle leur devait au moins ça. Soudainement tout s’était mit à trembler, du sol au plafonds, puis le vent s’était intensifié et la terre s’était mise à tanguer. Sous les yeux toujours plus surpris de la fillette la base s’était mise en mouvement jusqu'à s'arrêter près d'un nouveau lieu, une sorte de ville en ruine qui ne donnait vraiment pas envie d'y mettre les pieds. Phi la retrouva prostrée, longtemps, très longtemps après qu'elles se soient quitté le matin même, et lui raconta les derniers événements. Curieuse, oubliant ses craintes et sa timidité, elle lui demanda alors des précisions sur tout ce qui lui venait à l'esprit jusqu'à ce que sa guide lui propose d'aller manger. Celle-ci lui fit part de ses doutes quand aux Cyantifiques rebelles, et, influençable et trop peu cultivée sur ce nouveau monde, elle se rangea à son avis, méfiante.

[14] Phi la secoua doucement avant de lui demander de la suivre. Un nouvel événement ébranlait la vie des Dessinateurs et d'après Phi c’était surement très important pour qu'ils aient tous été réveillés ainsi. La fillette se dirigea donc vers l'extérieur où une foule de plus en plus compacte s'amassait devant deux hommes. Elle et Phi les écoutèrent, eux et les autres rebelles, leur exposer la raison de leur présences et des récents échos qu'avait pu entendre la fillette dans la base et aux cotés de Phi. Un homme lui tend un étrange sandwich violet et rouge qu'elle s'empresse de mettre dans sa poche tout en se concentrant à nouveau sur le flot d'informations. Les mises en gardes et autres idées de la suite se succèdent. C'en est trop pour la fillette qui ne parvient pas à tous assimiler, elle sait toutefois déjà qu'elle saisira cette chance pour aller explorer les alentours en se fondant parmi d'autres personnes. La ciseau fièrement accroché dans son dos par une lanière en tissus et ses petits alliés lui paraissent suffisant pour visiter ce monde à présent. Le duo est rentré à la base entre temps et c'est dans le jardin qu'elles ont été surprises par la sirène stridente et les fuites sauvages émanant du grand bâtiment. En sortant de la serre en courant, elle s'aperçu dans une flaque s'agrandissant pour la première fois depuis son arrivée dans l'Esquisse. Ses longs cheveux aussi pâle que la mort, sa peau diaphane, ses yeux d'un rubis écarlate, ses traits tirés, fatigués, mais heureux et surtout deux oreilles de lapin immaculées. Elle n’était plus la même. Finis ses courtes mèches sombres, ses yeux aussi profonds que l'océan, sa fatigue chronique qui l’empêchait de vivre comme une enfant normale et l'avait forcé à vivre enfermée chez elle. Cette nouvelle chance, elle voulait s'en saisir à pleine main. Alors quand plus tard on demanda qui voulait partir à la découverte du centre commercial, elle fut une des premières à se proposer, tendant la main à une personne qui s’était elle aussi proposée, elle se présenta, rayonnante et motivée à présent qu'elle avait un but :

" Kuro,  enchantée !"

Elle était ainsi, tantôt réservée, tantôt sure d'elle. Et quand on commençait à la connaitre et se rapprocher d'elle on s’apercevait que la fillette était quelqu'un sur qui l'on pouvait compter et qui irradiait d'une joie de vivre et de volonté d'avancer.