[Opportunité n°4] Tempête ▬ Au cœur des tourments.

Autour de vous, tout avait disparu.

Les lignes du paysage s'étaient déformées, déchirées, pour ne donner qu'un macabre fouillis. Comme un écran de télévision parasité. En regardant vos mains, vos pieds, en regardant les autres, vous vous rendîtes compte que vos lignes bougeaient aussi. Pourtant vous ne sentiez rien. Vous n'étiez que les observateurs d'un spectacle étrange, d'une synesthésie. Les sons, eux aussi, semblaient se dilater, se mélanger.

Puis tout redevint normal. Ou presque.

La fontaine avait disparu. À la place, un horizon comme vous n'en aviez jamais vu. Le ciel, gris et fracturé, se teintait de cramoisi par endroits. Ses images étaient brouillées, trop floues pour être distinguées.  Entre les fissures roulaient des gouttes vermeilles, qui jamais ne tombaient sur vos épaules. Vos pas foulaient une terre anthracite, aride et poussiéreuse. Vos traits étaient revenus à la normale. Pas de changement à déplorer, ni de blessure. Pourtant, vous voilà au beau milieu de ce morbide champ de bataille.

Partout autour de vous, des objets filaient dans tous les sens. Des objets disloqués, cassés, qui menaient leurs carcasses désœuvrées vers l'inconnu.

Une silhouette se sculpta devant vous, aux prises avec des objets. Sa silhouette imposante, sa peau foncée et ses vêtements le rendaient reconnaissable entre mille : Averroès. Le cyantifique se retourna et ses traits se crispèrent. Vous l'aviez suivi. Vous ne l'aviez pas écouté. Pourtant, vous ne pouviez pas revenir en arrière. Pas encore.

D'un pas décidé, Averroès marcha vers vous. Le regard dur, un pli soucieux sur le front. Au passage, il écarta quelques Objets, en fendit d'autres. Pour sûr, il allait vous protéger. Mais le prix à payer se lisait sur son visage.

« Qu'est-ce que vous faites ici ? Ne vous avais-je pas dit de repartir ? » vous demanda-t-il, la mine sévère.

Circonspect, il s'approcha davantage de vous.

« Vous devez savoir désormais pourquoi je vous avais prévenu…, grogna-t-il. Bon. Maintenant que vous êtes là, il va falloir que vous m'aidiez à vous faire sortir le plus vite possible. Nous devons trouver le cœur de la Tempête : il s'agit d'un petit arbre planté dans le sol. Faites attention aux Objets, ils sont encore plus agressifs et torturés qu'ailleurs. Plus on se rapprochera du cœur, pire ils seront. »

Inutile de vous demander si vous étiez prêts : ce n'était pas comme si vous aviez le choix !

Suite de l'opportunité

C'était une minuscule chêne, mesurant la moitié la taille de celle qui l'avait découvert, planté à même un sol rendu rose bonbon par cette Tempête qui sévissait abondamment tout autour. Sans doute était-il en pleine croissance, au coeur d'un tel tumulte qui pourtant  semblait n'avoir aucun impact sur lui…

Ses feuilles étaient aussi vertes que l'herbe de ce monde dont le cyantifique rebelle ne se souvient pas. Et lui, d'ailleurs, se contentait d'approcher ce qu'il avait nommé comme étant le Coeur de la Tempête afin d'en toucher les feuilles. Voulait-il confirmer qu'elles étaient elles tout à fait réelles et terriennes ? À moins que cela ne soit qu'illusion.

« Si vous aviez trouvé les choses difficiles jusqu'à maintenant, elles vont encore se corser. Vous allez vite comprendre pourquoi vous ne deviez pas me suivre… » déclara-t-il, encore penché au dessus du petit chêne, un air pensif ayant remplacé son habituelle expression de hargne.

Après un rapide signe pour inviter les trois dessinateurs à le rejoindre, Averroès donna une nouvelle marche à suivre.
« L'un de vous va déterrer et prendre avec lui cet arbre, puis ne le lâchera sous aucun prétexte. À partir de là, vous allez courir le plus vite possible pour sortir de cette merde, sans jamais vous retourner ni vous soucier de quoi que ce soit. Ce hérisson est bien mignon en comparaison de la horde qui va nous courir après. »

Déjà autour de vous, le vent s'était intensifié, et son air était à la fois lourd et brûlant. Craquements, tintements, ultrasons diffus ; peu importe ce que vous entendiez au-delà, cela ne voulait pas votre bien. Le ciel n'était plus qu'une mélasse hostile qui - elle aussi - vous aurait volontiers fondu dessus. Le sol lui aussi semblait prêt à vous happer.

« Dernière précision : inutile de me demander à quelle distance on est de la fontaine ou combien de temps il nous faudra pour sortir de la Tempête. Là où nous sommes, ces deux notions ont disparu. Tracez en ligne droite, peu importe ce que vous voyez. Ou qui vous ne voyez plus. »

Cette fois-ci, le cyantifique arborait un air des plus graves. Pourquoi ne prenait-il pas l'arbre lui-même ? La réponse était plutôt évidente, n'est-ce pas, puisqu'il faudrait certainement pouvoir retenir les objets au cas où les choses tourneraient plus mal que le mal qui était déjà prévu… Difficile en tout cas de dire qu'il vous faisait confiance.

Mais après tout, la situation était telle qu'il préférait la fuite à tout combat, lui aussi.

Êtiez-vous prêts ?