Vous ne voudriez pas être le troisième ▬ Kahaüz.

Ville sans nom, dans un pays sans nom. Probablement américaine. Sombre et lumineuse. Mais surtout avec ses bas-fonds. Et ses habitants et leurs obscures activités dont le commun n’a aucune idée… et en réalité, ne veut avoir aucune idée. Principalement en voyant ces deux hommes-là.

Les mains dans les poches de son incroyablement long manteau, un individu répondant au pseudo de « Play » (non, vraiment, il n’y avait que les drogués pour réellement croire que c’était son véritable nom), marchait à travers une ruelle que toute personne saine se serait empressée d’éviter. Ça tombe bien, il ne l’était pas. Enfin, la plupart des gens étaient d’accord sur ce point. Avec nonchalance, la grande silhouette enjamba… quelque chose, pour se planter devant un deuxième individu. Auquel il adressa un charmant sourire, avant de prendre un air légèrement chagriné.

▬ J’espère que tu ne l’as pas trop abîmé cette fois, Kah-chou. Tu sais combien les familles en sont attristées, dans le cas contraire…

Cette fois, sa langue n’avait malencontreusement pas fourché. Faut dire qu’il pouvait être impressionnant le loustic, quand il le voulait. Ou souvent, en fait. Mais ça n’empêchait pas Play de lui tourner autour.

▬ Alooors, tu as quoi pour moi ? reprit le jeune homme tout en blanc en battant des cils, les mains jointes, telle une petite amie impatiente de voir la dernière trouvaille de son cher et tendre.

Son travail l’avait encore forcé à tuer quelqu’un. Non pas que cela lui déplaise, il avait repris ses petites habitudes. Il n’avait pas à se retenir, il était, à chaque contrat, en extase intense.

Devant lui, un corps, était étalé là sans vie. La ruelle était tellement sombre qu’on ne savait pas l’étendue des dégâts occasionnés cette fois-ci. Mais ce n’était pas son problème. C’était celui de son « partenaire ». Ce gosse – qui pourtant n’était pas beaucoup plus jeune que l’homme – était très irritant mais il faisait un travail plutôt correct, donc il avait décidé de passer outre ses réflexions puériles.

Justement le voici, à encore le titiller avec un nouveau sobriquet totalement idiot. L’homme leva les yeux au ciel et souffla. L’attitude du nouvel arrivé commençait déjà à lui taper sur le système mais il savait qu’il allait de toute façon continuer. Alors il ne lui balança qu’un regard noir avant de répondre à sa question.

« Hugo *****, 30 ans, il habite 4 rues plus loin. »

Pourquoi devait-il le tuer ? Il ne savait pas, il ne cherchait jamais à savoir pourquoi. On lui demandait de le faire alors il s’exécutait. Il prenait une preuve de son boulot fait – du sang ou le certificat de décès que pourrait lui fournir son partenaire – et empochait la prime. Le reste, il ne s’en incombe pas.

Il s’éloigna de la scène pour surveillé une quelconque personne qui pourrait tomber dessus pendant le nettoyage.

Le bruit d’un gant en plastique qu’on enfile résonna un instant dans la ruelle, avant qu’une certaine voix ne le remplace, commentant d’un ton léger le déroulement des opérations.

▬ Hmm, mon cher Hugo, quelques séances d’abdos n’auraient pas été de trop, c’est un peu mou là. Ha. My bad. J’ai mis la main là où il ne fallait pas.

Tirade ponctuée de bruits qu’il valait mieux ne jamais entendre. Ni imaginés. Ni. Rien du tout. Finalement, un nouveau claquement de gant se fit entendre et Play se redressa, craquant ses épaules et ses doigts avec nonchalance.

▬ Ça devrait être utilisable. Heu, je veux dire : on devrait pouvoir faire un enterrement convenable. Les fléaux de la fatigue sont terribles. J’ai des cernes, tu sais ? Lorsque tu me réveilles comme ça, toutes les nuits… Kahou, tu mets vraiment mon corps à rude épreuve.

Play tapotait en sifflotant sur son iPhone. Cette ruelle serait bientôt aussi propre que… qu’elle était sale et puante il y a quelques heures. Sérieusement, les services publics laissaient à désirer. Il allait devoir changer de chaussures.

Il sautilla jusqu’à Kahaüz, se collant sans crainte à son dos.

▬ Paie-ment, souffla-t-il à son oreille, joyeusement.

Il était efficace mais franchement, il pouvait un peu se la fermer ? Non parce qu’avec ses bruits étranges, même si l’homme est habitué à passer outre, il se demande parfois s’il ne faisait pas exprès.

Il savait ce que ce gosse tramait mais ce n’était franchement pas son affaire. Du coup, il ne relevait pas la pseudo erreur qu’il a fait en parlant. Il n’a même pas comprit le second degré qui pourrait se cacher derrière ses paroles.

« Je m’en fiche, tu te débrouilles, c’est toi qui a voulu que je t’appelle après avoir fini mon travail. »

Et il sentit sa présente contre son dos. Seigneur qu’il détestait quand il faisait ça. Alors l’homme s’avança de quelques pas pour qu’il arrête de le toucher et se retourna.

« De quoi tu parles ? »

Le tout ponctué d'un regard noir, bien entendu.

Le doigt dessinant des petits ronds sur le dos de Kahaüz, Play souffla, telle une demoiselle éconduite :

▬ Oh, mon petit hibou des ruelles sordides, ce que tu peux être froid.

Et il allait poursuivre en précisant qu’il ne parlait pas de son dos, lorsque son support se déroba. Play rétablit son équilibre avec une petite moue. Avant de soulever bien haut un sourcil face à la question de son partenaire nocturne. D’accord, il l’avait un peu cherché mais… Le jeune homme laissa un sourire doucement étirer ses lèvres, et s’approcha félinement. Ou comme un serpent, suivant les mauvaises langues.

▬ Voyons, Haüzounet... commença-t-il en posant son index sur le front de l’homme. Dois-je vraiment t’expliquer les us et coutumes du monde moderne et civilisé ?

Il recula légèrement, en appui sur un pied, son doigt maintenant au niveau du torse.

▬ Il y a de trèèès nombreux moyens de paiement. Et je pensais que celui qu’on avait te satisfaisait.

Sa main migra sur son propre cœur.

▬ Marié à ton travail comme tu es. Je ne savais vraiment pas que tu couvais de tels sentiments à mon égard. Navré.

Pas loin d’une lame. Juste au cas où.

Les paroles de trop. D’accord, il pose des questions très naïves et il aurait dû s’en douter connaissant le spécimen qu’il aurait pu se retenir sur le coup.

« Tsk »

Il sortit des billets de sa poche et les fourra dans la bouche de Play. D’une main, il coinça celles de Play et l’autre encercla ensuite le cou de Play, plantant ses yeux aiguisés comme les couteaux qu’il utilise pour dépecer ses victimes.

« Ecoute gamin, je me fiche de ce que tu fais de ta vie mais n’ose même pas insinuer quoi que ce soit sur la mienne. »

Avant de le lancer plus loin et se retourner pour commencer à partir.

D’accord, il l’avait cherché. Mais il adorait chercher les gens. Et cet homme était si délicieux… Play en défaillait presque (et pas seulement à cause des mains sur sa gorge). Quoique ça commençait à devenir assez inconfortable. Dès qu’il put rétablir une pose saine et prendre une bonne bouffée d’air vicié, Play souffla assez fort pour se faire entendre :

▬ Allons, cela fait longtemps que je ne suis plus un gamin, comme tes mains sur mon corps un peu plus tôt ont pu le constater.

Du ton rauque de celui qui, même s’il s’était fait à moitié étrangler, laissait dire que son interlocuteur était un adorable plaisantin. Timide, qui plus est.

▬ Ou devrais-je dire sur ma gorge. Ou corps à corps intense. J’ai un peu de mal avec ma langue quand on prend possession de moi aussi fougueusement. Tu sais Kahaüz, même si tu payes, faut être un peu plus doux pour ces choses-là.

Bien sûr que Play le prenait bien, il n’y avait pas de raison. Même s’il devait lui dire au revoir… Sans prévenir, une lame fila dans la ruelle, et laissa une petite trainée sanglante sur la joue de sa cible.

▬ Oups ? ♥

Même l’homme avait compris les sous-entendus qu’il avait faits. Que ce gamin pouvait l’énerver. Il ne voulait pas se retourner, il ne voulait pas réagir à ses conneries. Mais il allait trop loin, il voulait le calmer une fois pour toute.

Une lame l’arrêta cependant dans son action, elle lui effleura la joue. C’était une lame de cet être irritable lui avait lancé. Sa vision se troubla quelque peu, il savait qu’il empoisonnait ses lames.

« Le petit enfoiré… »

Il tituba pour s’appuyer contre un mur, voyant le dos de Play s’éloigner peu à peu. Forcément, il s’est barré dans la seconde. L’enfoiré. S’il survit, oh oui qu’il va survivre, il va le traquer et le saigner comme un porc.

Mais en attendant, il va devoir rester là à comater avec le cadavre devant lui, à attendre le fourgon de la morgue vienne les ramasser à deux. Quoi qu’il aimerait qu’ils le laisse tranquille, il a eu son lot d’humiliation.

Mais il se fera saigner. Ce grand enfoiré.