Interdit aux shippeurs ▬ Kahaüz ♥

Cette tempête devait tout arranger. Cette tempête devait le guérir. Cette tempête était… est une catastrophe. Diablo se regarde dans ce qu’il reste d’un miroir, palpe le bout de son bec, secoue la tête, agitant les quelques plumes dans ses cheveux. Des ailes à la place des bras, des serres à la place des pieds, et d’étranges motifs gravés un peu partout sur le reste du corps.

Oh oui, il n’a plus aucune trace de son apparence de diablotin, sauf sa peau toujours un peu grise mais… il est tout sauf guéri. Tout sauf invisible. Il est à moitié hibou. Et oiseau. Mais surtout hibou parce qu’il ne geint plus, il hulule. Le hululement le plus pitoyable du monde mais un hululement quand même. Et il a appris assez pour le reconnaître parfaitement (et les motifs de son visage ne trompent pas). Pas jusqu’à la race, mais Esquisse avait-elle vraiment sélectionné quelque chose en particulier ? Il est peut-être un mélange de tout. Et pas forcément que des hiboux. Diablo tremblote, manque de perdre quelques plumes et finalement ne tient plus. Sautille plus que ne court, et va s’écraser contre le torse de Kahaüz avec un appel déchirant :

▬ Kah-hou…

Et les meilleures explications du monde, probablement. Mais Diablo est perdu (une fois n’est pas coutume) et il n’arrive qu’à trembloter bêtement, la tête à moitié enfouie dans les plumes de ses ailes.

Il veut juste être normal.

Une tempête bienfaitrice disait-il, alors ils s’étaient arrêtés en route. L’homme ne comprenait pas bien l’utilité de la chose, ni même pourquoi il le voulait. Certes, l’apparence d’un diablotin n’est peut-être pas la meilleure mais cela ne le choquait pas plus. Et puis un choc. L’homme ne bougea pas d’un cil. La dernière fois qu’il fut si choqué, c’était quand sa copine avait enfilé un costume de hibou.

Devant lui se tenait non pas un vulgaire cosplay – bien qu’il la trouvait mignonne dedans – mais bel et bien un homme-hibou. Le diablotin était devenu hibou. Qui hulule magnifiquement, soit dit en passant. Mais quel hibou ne le fait pas, franchement ? Visiblement bien paniqué, le garçon sautillait dans tout les sens avant de s’écraser contre le torse de l’homme.

- Kah-hou

Mi… Mignon. C’est le premier mot qui lui vint en tête bien malgré lui. Un appel déchirant suivis d’un hululement. L’homme prit Diablo par ses épaules et le décala légèrement de lui, lâchant

- Ne t’inquiète pas ! Tu es… Bien comme ça… ?

Saigneur. Ce qu’il n’a pas dit.

Ses « ailes » à moitié repliées contre sa poitrine, Diablo regarde Kahaüz comme on regarderait son sauveur – ce qu’il est, de fait. Tant d’espoir dans ses yeux. Et pourtant il sait que l’homme n’y peut pas grand-chose, comme personne en fait mais. Il n’en attend pas autant. Il pioche simplement de la force en le regardant. Juste en étant à ses côtés. Sans bouger d’un poil, Diablo tremblote de nouveau.

▬ Mais. Mais. J’ai. Hou. (Hoquet. Hululement.) Des plumes.

Ce n’est pas vraiment ce qu’il espérait. Pas du tout. Peut-être qu’il est même plus bizarre comme ça… Diablo n’a rien contre les hiboux, au contraire, encore moins face aux apparences un peu bizarres des gens de ce monde. C’est beau. Sur eux. Lui n’est pas… n’est pas… n’est jamais… il reste Diablo. Et Diablo est mieux invisible. Probablement.

Maladroitement, l’ex-diablotin essaye d’entourer son torse de ses « bras ». De se dissimuler. Il a honte. Si Kahaüz ne lui était pas aussi nécessaire que l’air, il se serait caché loin, loin. Pour ne pas ternir l’image des parfaits hiboux. Quelque chose comme ça. Diablo est le pire hibou de l’univers.

▬ …devait pas être comme ça. Doit. Pas.

L’homme le sent trembler sous ses mains. Ce n’était visiblement pas la phrase que le garçon attendait. Mais pour ça, l’homme était bien incapable. Certes, il n’aimerait pas devenir un hibou lui-même, considérant que cela ternirait l’image de ces magnifiques animaux. Mais à Diablo, ça lui allait bien ! Enfin il était du genre moins… Sanguinaire que lui alors il… Bref. Passons sur cette réflexion.

- …devait pas être comme ça. Doit. Pas.

Il ne savait pas si c’était sa situation actuelle, s’il n’aimait pas les hiboux, s’il n’aimait pas être ainsi, ou quoi que se soit. Bref. L’homme n’a pas compris. Près quelques instants de silence, il ne bougea pas d’un cil pour dire

- Sûr que de redevenir soi-même est mieux mais… euh… Herm. J’aime bien.

Il lâcha les bras de Diablo

- Et puis… si t’es en hibou… C’est que tu es quelqu’un de bien…

Utile.

Les mains de Kahaüz l’apaisent un peu mais ses paroles ne. Eh bien, n’ont probablement pas l’effet escompté. Enfin, Diablo est surtout un peu perplexe. Quand les mains s’éloignent, il fronce les sourcils, fait bruisser doucement ses nouvelles plumes.

▬ Je… je ne devrais pas être comme ça… je… ne le mérite pas.

Diablo passe d’un pied à l’autre, maladroitement. Sa tête oscille aussi.

▬ Et si je n’ai plus de mains, je ne pourrais plus bricoler la radio.

Et ça, c’est grave. Il n’est déjà pas très utile, alors s’il ne peut plus rien faire, rien n’empêchera Kahaüz de le laisser sur le côté. Encore plus tôt que prévu. Car ça arrivera fatalement. Mais Diablo ne veut pas y penser et veut juste retarder ce moment le plus possible.

▬ Et…

Grande inspiration. Ses yeux qui se fixent droit dans ceux de Kahaüz.

▬ Je ne suis pas quelqu’un de bien, Kahaüz.

Diablo ne flanche pas. Il affirme, il ne doute pas. Sa voix ne tremble pas. Lui non plus. Et il ose même mettre son prénom à la fin. Son regard se voile un peu. Non, il n’est pas quelqu’un de bien. Il n’est pas bien.

L'homme resta silencieux pendant tout le long où Diablo parle. Qui est-il pour juger ? Personne. Qui est-il pour essayer d'affirmer le contraire ? Personne. D'autant plus qu'il le regardait droit dans les yeux, chose excessivement rare. Alors il ne sera pas quelqu'un de bien. Mais sûrement mieux que lui. Ça, n'importe ce que dira ou fait le garçon, l'homme ne bougera pas d'avis.

« Très bien. »

Se contenta-t-il de dire avant de fermer les yeux, comme pour signifier que le débat est clôt, qu'il a comprit. Lorsqu'il ouvrit les yeux, il déclara

« Et ça ne m'arrange pas que tu ne puisse plus bricoler la radio. »

Il s'approcha de l'objet en question, le pris et l'installa sur la moto.

« Et donc ? Tu veux te jeter de nouveau dans une tempête ? C'est plutôt dangereux et ça m'arrangerais encore moins que tu disparaisses ou reviennes déchiqueté. »

S'il est plus là, la radio n'est pas bricolée, il ne pourra plus ré-entendre les hiboux. S'il est plus là, en tant que hibou, il ne pourra plus entendre ses hululements que l'homme trouve mignons.

Diablo eut un sourire. Un étrange sourire. Ni doux ni amer. Un mélange indéfinissable. Une expression éphémère, un mélange entre-deux. Il ne s’attendait pas à être dorloté. Une telle réponse était normale. Mais. Il y a toujours ce petit mais, au fond de son cœur, ce petit espoir. Cette faible et ridicule lueur. Qu’il ne se résout pas à éteindre. Car, même si c’est vain, il a besoin de s’y accrocher. C’est, probablement, avec Kahaüz, tout ce qui lui maintient la tête hors de l’eau. Ou plutôt de l’obscurité.

▬ Bien, répondit-il en retour, tenant toujours autant sur ses pieds.

Diablo ferme les yeux aux paroles suivantes. Oui, bien sûr, que ça ne l’arrange pas. Un boulet n’arrange jamais personne. Si Diablo n’est plus utile… Diablo n’est plus… nécessaire. Et une chose qui n’est pas nécessaire, on l’abandonne sur le bas-côté.

Puis, le cœur a un raté. Diablo rouvre les yeux.

▬ Vraiment-hou… ?

Faible, tout petit espoir. Qui brille, là, juste au fond du cœur. Au fond, Diablo n’a vraiment besoin de la vérité. Juste des bons mots. Il n’est pas aveugle, mais il lui suffit de peu pour s’accrocher. Croire qu’il est nécessaire… cela suffirait.

« Vraiment-hou... ? »

L'homme continua de ficeler la radio sur la moto. Il appréciait vraiment les petits « hou » qu'il pouvait lâcher en fin de phrase. Se frottant les mains après avoir finis sa tâche, il se retourna simplement vers le garçon.

« Tu en doutes ? »

Bien sûr qu'il en doute, même l'homme en doute. Sa propre question dessina un sourire ironique sur son visage. Il s'approcha à grand pas vers Diablo, conservant son expression.

« Tant que nous sommes en cavale, nous sommes partenaires. Nous avons plus de chance de survivre a deux. »

Puis il passa à côté du diablotin pour ramasser son manteau et retourna vers leur moyen de transport. Il adorait cette moto. Diablo pourrait être utile aussi si un jour elle devait tomber en panne.

« Et puis... »

De nouveau vers le garçon, il s'appuya sur la bécane.

« Ta présence n'est pas... Déplaisante. »

Le coeur de Diablo bat vite. Bat très très vite. L’air lui manque. Il entrouvre son bec, sans même se préoccuper de ce dernier. Toute son attention est tournée vers une seule et même chose. Et cette chose se nomme Kahaüz. Kahaüz et les mots qui sortent de ses lèvres. Chaque. Petit. Mot. Diablo essaye de respirer, mais ce n’est pas facile. Surtout après un plus ou moins traumatisme et… ça. Surtout ça. Oh, il radote. Un peu. Le cœur va lâcher et peut-être que les pensées aussi. Ou le cerveau. C’est confus.

Enfin non.
Ça ne l’est pas.

▬ Non, plus maintenant.

Plus de doutes. De joie, il en saute au cou de Kahaüz, l’entourant de ses ailes, le rouge aux joues et un sourire rêveur sur les lèvres. Il lui faut dix bonnes secondes pour réaliser. Dix, très longues secondes. Diablo s’écarte d’un bond, horrifié.

▬ Je. Je. Pardon. Les hormones. Hibou. Enfin non, pas hibou… oh je parle beaucoup… et le sol… bouge… normal… ou pas. Je ne sais plus trop.

Diablo se frotte le visage, titube. S’il avait déjà bu une seule goutte d’alcool, on aurait pu le dire ivre. Tempêtueusement ? C’est possible ?

« Bien. »

Deuxième affaire close. Le diablotin ne doutait plus, cela rassurait l'homme. Le fait que le garçon doute le gênait. Il ne savait pas pourquoi. Il n'avait juste pas envie qu'il croit qu'il sera abandonné du jour au lendemain, à la merci de la raison de leur cavale. Il ne le veut pas, même si cela pourrait le sauver lui. Comme s'il voulait se racheter.

Et des ailes entourèrent soudainement son cou. L'homme fut surpris, s'il n'y avait pas eu la moto, il en serait sûrement tombé à la renverse. Tout son corps se raidit. Dix secondes longues passèrent. Il ne bougeait plus. Il n'en a pas l'habitude. Il en a perdu l'habitude. Sa copine le faisait souvent. Cela ne lui déplaisait pas mais il ne savait jamais quoi faire.

Le garçon s'écarta d'un bond, rouge et avec une expression d'horreur. L'homme respira de nouveau. Diablo balbutia des choses dénuées de logiques, il s'embrouillait, il titube. Derrière lui, un morceau d'un mur meurtrier. Alors l'adulte se précipita sur le diablotin pour amorcer sa chute, une main derrière la tête, évitant qu'il se blesse.

« Reste assis le temps de reprendre tes esprits »

Et resta accroupis à côté.

Diablo vacille. Son corps tombe. Mais une main le retient. Kahaüz le retient. Encore une fois, il l’empêche de sombrer dans les ténèbres. Et ce n’est pas qu’une métamorphose. S’il avait été plus en forme, le diablotin en aurait doucement ri. D’ailleurs, en y pensant, sa poitrine s’agite un peu. Mais difficile de dire s’il étouffe un rire ou une quinte de toux. Probablement plus le deuxième. Il n’est pas très en forme.

Mais Kahaüz est avec lui. Kahaüz est juste à côté. Sa présence est chaude et rassurante. Si rassurante que Diablo se déplace jusqu’à elle, et sans y penser, s’y blottit tout entier, corps et âme. Il niche sa tête contre le torse et achève de fermer les yeux. Il est fatigué. Si fatigué. La tempête, peut-être. Ou autre chose. Il veut juste dormir. Juste… dormir… Dans un soupir, Diablo s’endort. Apaisé. Bien. Pour une fois. Une si douce et rare fois. Il ne veut juste plus bouger. Et en profiter.

Juste un tout petit peu.

Spoiler:

Diablo s'approcha de l'homme immobile. Il ne disait mot, mais ce n'était pas un silence pesant. Si son MP3 pouvait encore fonctionner, on pourrait entendre très clairement les chants de hiboux. Un moment calme comme l'homme les aimait, et le garçon terminait de se blottir contre le torse de l'adulte, avant de s'endormir.

S'il n'avait plus son baladeur, l'hybride se chargeait de lâcher des « hou » dans son sommeil. Même l'homme trouvait ça adorable. Bien que le fait qu'il soit mi-hibou devait aider à cette appréciation. Doucement, il poussa un peu Diablo pour qu'il puisse lui aussi s’asseoir plus confortablement contre un mur. Rester accroupis n'était pas franchement une bonne idée. Installé, il laissa le garçon contre lui, tapotant, limite caressant sa tête avant de lui-même chercher le repos.

Mais des souvenirs de joie et de calme mélangés à ceux d'un corps inerte et de désespoirs remontèrent. L'homme ferma fortement les yeux, et les frotta avec la main qui lui restait.

Il fallait que toute cette connerie s'arrête.