Tu as toujours été débrouillarde. Depuis gamine, en fait. En fait, c'est que tu as toujours été trop têtue pour ne pas aller au bout des choses, même s'il fallait pour ça que tu passes par des chemins un peu détournés. Alors, quand tu es arrivée ici, quand tu as ouvert les yeux et que tu as vu ce drôle de monde, tu as tout fait pour ne pas paniquer. Parce que ce n'est pas dans ton caractère de paniquer facilement. Pas en apparence, du moins. Tu veux rester maître de tes réactions, alors tu relatives. Tu passes ta vie à relativiser. Et tu as sacrément relativisé quand ton réveil t'as privé du moindre de tes repères, quand tu t'es rendue compte que ce monde là n'avait rien à voir avec le monde qui t'avait vu naître. Quand tu as vu les images dans le ciel, quand tu as cru devenir folle rien qu'à contempler cet écran qui n'avait de « ciel » que le terme communément admis pour quelque chose se trouvant au-dessus de ta tête. Tu n'étais pas blessée. Tu n'avais pas changé d'apparence. Tu étais toujours cette étudiante un peu excentrique aux cheveux violets et aux vêtements qui n'entraient dans aucune case. Non pas que tu sois particulièrement extravertie ; en fait, c'est même assez l'inverse. Tu es plutôt timide en dépit de ton style qui t'empêche de passer inaperçue. Tu aimes bien ne pas être comme tout le monde, et avant d'arriver ici, tu aimais bien les choses qui sortaient un peu de ta zone de confort logique et stable. Donc, tu as ouvert les yeux. Donc, tu as vu ce monde. Donc, tu t'es sentie perdue, mais tu as vite compris qu'il ne fallait pas que tu restes là, la bouche ronde et les yeux écarquillés. Tu es assez vive d'esprit pour comprendre que rester immobile sur un territoire inconnu n'est jamais une bonne idée. Tu as lu assez d'histoires là-dessus pour savoir que dans un lieu inconnu, il faut bouger et trouver en premier lieu, un abri.

Dès ton arrivée, tu t'es fait attaquer. Par une espèce de gâteau au chocolat géant, pourvu de dents acérées, qui voulait te bouffer sans même te faire cuire. Pour toi, qui détestes le chocolat, cela aurait été un comble que de te faire manger par cette pâtisserie. Et tu as fuis. Tu as couru, aussi vite et aussi loin que tu le pouvais, sans vraiment te demander si tu ne courrais pas au devant d'un danger bien plus grand. L'instinct de survie, ça se réveille toujours au bon moment. Et le tien, finalement, est assez développé pour te rendre égoïste et instinctive. Ici, tu te l'es promis, ce sera chacun pour sa pomme et surtout, tout pour la tienne. Si tu dois faire quelque chose te mettant en danger pour les autres ? Non, merci, tu passeras probablement ton tour, sauf si tu n'as pas le choix et que l'action en question te mettra en sécurité pour plusieurs jours. Pourtant, tu n'es pas méchante. Tu es même plutôt gentille, en réalité. Non, tu ne vas pas écraser les autres par plaisir sadique ; ce n'est pas toi, ça. Toi, c'est juste survivre et  – si possible – ne pas souffrir. Et tu sais, tu es assez réaliste pour savoir que ça peut potentiellement impliquer de devoir sacrifier des camarades. Potentiellement. Tu as eu le temps de nourrir toutes ses réflexions en trouvant refuge dans une espèce d'arbre creux qui te semblait être une bonne cachette. Tu as eu la sensation de rester là pendant des heures, quoi que le temps te paraissait être une notion un peu floue. Tu t'étais juste recroquevillée. Et tu avais attendu. Attendu si longtemps que tu avais fini par te demander si tu reverrais un jour le monde extérieur. Et tu avais entendu des voix. Sans trop savoir à quoi t'attendre, poussé par cette petite curiosité vilaine qui t'habite depuis ta plus tendre enfance, tu étais sortie de ton trou pour te retrouver face à d'autres êtres humains. Des êtres humains. Pour toi, qui n'avait croisé que des ciseaux carnivores, des plantes meurtrières et des cigares affectueux, c'était une occasion à ne pas manquer ! Et tu t'étais lancée. Et on ne t'avait rien expliqué, on t'avait juste embarquée. Pour te mettre en sécurité, que l'on te disait. « Lizé. Je m'appelle Lizé Miller. » avais-tu dit quand on t'avait demandé ton nom. Et puis, tu t'étais rendue muette et tu les avais suivi.

De toute façon, c'était ça ou finir par te faire dépecer par une horde de loukoums enragés. La nourriture ne doit pas beaucoup t'aimer, ma pauvre petite Lizé. Très vite, tu avais compris que rien ne serait facile ici. Et, vous vous étiez retrouvés à la Base. Et là, tu avais compris que ta survie était engagée. Tu avais vu les blessés. Tu avais entendu les conversations. Et tu avais compris qu'il fallait que tu t'adaptes. Tu ne savais pas trop comment être utile, mais tu t'étais improvisée infirmière ; tu faisais un peu de garde d'enfants pour financer tes études, alors les blessures, hein, tu pouvais gérer. Et puis, au fil des jours, tu as suivi le mouvement, tout simplement. Tu as suivi le mouvement en comprenant que le dehors était bien plus dangereux que l'intérieur. Tu ne voulais pas le reconnaître, mais tu avais peur. Une peur qui se fracassait à ta curiosité. Tu voulais comprendre. Tu voulais apprendre. Tu voulais savoir ce qui se passait, où tu étais. Mais la Base, il était hors de question que tu la quittes. Pas tout de suite. Tu étais encore trop déboussolée. Et les jours se suivirent, sans se ressembler. Entre entraide, défense, parfois repos lorsque l'Esquisse voulait bien vous laisser un peu de répit. Tu as vite appris à considérer ce monde comme une Personne, avec son caractère bien défini et ses caprices. Souvent, tu te sentais larguée. Sans rien comprendre. Encore maintenant, tu ne comprend pas. Beaucoup de choses sont encore floues, dans ton esprit. Toi, tu ne fais que suivre le mouvement. Tu observes encore, tu essaies juste parfois de te rendre utile. Et tu as peur. Tu as peur, parce que tu es consciente des dangers qui t'entourent et tu es consciente que tu n'y comprend rien.

Et tu sais qu'il va falloir que tu commences à réagir, surtout après avoir été trop effrayée pour sortir le jour 13 et chercher des réponses - quoi que tu avais bien fait de ne pas y aller. Tu sais qu'il va falloir que tu commences à t'imposer réellement. Que tu arrêtes de subir et de te cacher, pour espérer réussir à sortir d'ici ; si tant est qu'il existe une sortie.