Juliette  Lebourgeois était en bien mauvaise posture : un énorme gâteau à la noix de coco tentait de la dévorer. En même temps, elle était une bouteille de coulis de fraise ; et tout le monde sait que les gâteaux géants à la noix de coco de l’île de N’Importnawak adoooorent le coulis de fraise.

Personnellement, Juliette vous aurait bien dit que la fraise ne se mariait pas habituellement avec la noix de coco, à moins qu’elle n’ait été caramélisée. Mais depuis que les Fabricants Caramélisateurs étaient en grève à cause de l’expansion rapide –trop à leur goût- de la Grande Mousse Chocolatée du Nord-Ouest, plus personne ne pouvait prétendre à la caramélisation, même une petite part de tarte tatin au chocolat. Et puis là, il en allait de son intégrité de pot de coulis. Donc elle courait.

Non, Juliette n’avait ni bu, ni fumé. D’ailleurs, elle réprouvait avec vigueur ce genre d’accoutumances. Juliette avait simplement abusé des mélanges la veille. Et par mélange, non pas quelque spiritueux ou substance prohibée naturellement ;  juste un énième sandwich chèvre-ketchup-mayo-moutarde-poulet-réglisse-caramel-orange-chocolat-yahourt. Accompagnée de son petit verre très à propos de lait-fraise-menthe-cassis-caramel et quelques coquillettes au Nutalla-cannelle-pommes grillées.

L’abus de sa série préférée jusqu’à pas d’heure, additionné à ce nouveau personnage de fanfic qu’elle venait de créer et sur lequel elle avait planché durant des heures, n’avait bien sûr pas arrangé les choses. Mais c’était comme ça, Juliette aimait inventer les évènements les plus farfelues dans l’univers simpliste et coloré de ses chers poneys multicolores et niais. Elle adorait cela même, car son imagination débordante et exubérante trouvait enfin un cadre construit pour croître à sa guise et partir dans tous les sens. Et c’était tout ce qui comptait, elle s’occuperait de son avenir plus tard.

Son présent se trouva brusquement changé quand elle se fit enfin attraper par son gâteau géant et ses subalternes les crèmes brûlées, et émergea enfin de son rêve.


Avant même d'ouvrir les yeux, elle s'étira mollement, comme l'adolescente un peu fainéante qu'elle était. Elle s'apprêtait à retirer sa main qui venait de heurter le mur, mais de collision il n'y eut point. Elle haussa mentalement les épaules, tortilla ses petits orteils engourdis et réfléchit à la façon d'incorporer ce Chef-Gâteau-Noix-de-coco-tribal à son élucubration de poney. Peut-être avec un sortilège et des cupcakes ? Elle émit un grognement de frustration. Tiens, elle était enrouée ce matin ! Bah, peu importe, on était dimanche. ...Ou Jeudi ?

Juliette ouvrit les yeux avec précipitation et se releva de son lit avec empressement. Foutu réveil !! Eh mais qu'est-ce qu'elle fichait face contre terre ? Serait-elle tombée de son lit cette nuit ? En tous cas, elle n'avait pas fait le ménage depuis fort longtemps, car son bec était fort blanc de poussière. Elle prit donc l'initiative de se remettre sur ses pattes courtes et griffues.
Oui vraiment, ce tapis persan HS au milieu d'un parquet jonché de gravats risquait d'énerver sa mère. Et Dieu qu'elle ne voulait pas ça, parce qu'en tant que représentation type de l'adolescente couillonne, sa mère ne râlait que pour des choses futiles et abstraites comme son avenir en décrépitude, le sol de sa chambre semblable à un terrain d'entraînement militaire désaffecté, ou encore son principe de nutrition qui ferait syncoper une diététicienne.

Pattes ? Courtes et... griffues ? Bec ?
HAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH (pause)
HAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH
HAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH
HAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH

Fort désappointée d'être ainsi parée, notre amie ne trouva rien de mieux pour exprimer cette frustration de ne rien comprendre que de hurler au monde, tout en se roulant sur elle-même (ce qui est assez facile vu l'ergonomie de sa nouvelle forme), quelque chose comme
"pouuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuur
quoiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii ? "

Mais enfin un bruit se fit entendre. Elle venait de heurter un mur encore valide, bien que perdant de grosses écailles de peinture. Et un ananas bleu fluo miniature avec des bras poilus apparut dans l'entrebâillement de ce qui avait été un jour un pas de porte.

Naturellement. Un rêve. Un bête rêve. Un idiot de rêve.

L'ananas ouvrit bien grand une bouche situé sur sa corolle, dévoilant une haleine de poney en décomposition et une fort belle armada de molaires en mousse thermoformée turquoise. Et la mordit au cou. Fort en plus. Elle émit un couinement rauque de surprise, et commença derechef à se contorsionner. Elle avait beau être plutôt pacifiste, cet ananas méritait une correction ! Elle lui asséna un coup de griffe en plein abdomen, le transperçant un peu. Il décampa enfin en chantant l'Ave Maria. La douleur non.

Et si elle avait mal, ce qui était fortuitement le cas, elle aurait dû se réveiller. Or ce n'était là pas le cas.

Fort désappointée d'être toujours ainsi parée de ce corps grotesque, notre amie ne trouva toujours rien de mieux pour exprimer cette frustration renouvelée de ne rien comprendre, mêlée de haine envers cet ananas mutant, que de hurler encore plus fort au monde, tout en se roulant sur elle-même avec plus d'ardeur encore (ce qui est assez facile vu l'ergonomie de sa nouvelle forme mais ne l'empêcherait pas d'avoir le tournis), quelque chose comme
"pouuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuur
quoiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii ? "