Marshall ▬ Je vous guérirai.

Description

L’homme ouvrit les yeux. Un regard perçant, bleu comme la glace.
Il était allongé, là, sur le sol, bras et jambes écartées comme s’il voulait prendre autant de place que possible. Pourtant, ce n’était pas son genre, non. S’il avait été possible qu’il soit transparent, il aurait été plus que ça. Il fixa le ciel, stupéfait. Une vague teinte rose, surmontée d’images et de textes. Ils lui étaient inconnus. L’homme resta couché quelques instants, puis ramena une main sur ses yeux, paume vers le ciel. D’ailleurs, était-ce vraiment le ciel ? C’était peut-être un plafond.

L’homme se redressa pour se retrouver en position assise et se rendre compte qu’il n’était pas sur le sol. Il était en effet assis sur une table, elle-même appuyée en diagonale contre un mur. En restant sans effort dessus, il défiait les lois de la gravité qu’il avait apprises à l’école. Pauvre Newton. L’homme se frotta les yeux avec la manche de sa chemise blanche et immaculée, puis glissa derrière son oreille quelques mèches rebelles qui s’étaient aventurées devant ses yeux. Des mèches ? Il avait pourtant toujours porté les cheveux courts, il en était persuadé. Il palpa son crâne, puis s’aperçut que ses cheveux, qui lui arrivaient en dessous des omoplates, étaient attachés par un élégant ruban noir. Curieux de les voir, il les détacha. Ses cheveux autrefois courts, bruns et soigneusement tirés en arrière avaient désormais laissé place à une magnifique crinière argentée. Étonné, l’homme les rattacha néanmoins en queue de cheval. Ce n’était pas vraiment son style, mais ça ne le dérangeait pas pour autant. Il se demandait si d’autres parties de son corps avaient changé aussi. Il avait déjà remarqué qu’il avait toujours le même teint blafard. Il lui semblait cependant qu’il était plus mince qu’avant.

Il se ressaisit, se disant que ça n’avait pas vraiment d’importance. Savoir où il était, voilà la priorité ! L’homme sauta de la table et atterrit lentement sur ses deux pieds. Tiens. Même le temps semblait chamboulé par ici. Il regardé autour de lui. Il se trouvait visiblement dans une ville en ruines. Les bâtiments étaient tous détruits et certains menaçaient encore de s’effondrer. Ça ne faisait sans doute pas longtemps que la cité était dans cet état. Comme si une guerre avait eu lieu ici, juste avant que l’homme n’arrive. Pas longtemps en tout cas. Ou alors, peut-être que ces lieux avaient toujours été ainsi, en train de se détruire. C’était triste. Mais étrangement calme. Très paisible. Drôle d’endroit pour se réveiller.

L’homme fit quelques pas en avant. Soudain, il sentit quelque chose sous son pied. Ça couinait. Très fort. Il recula, surpris, et regarda ce qu’il avait écrasé. C’était une petite boîte à la texture vaguement molle. Et ça couinait. Et ça avait des yeux de chiot apeuré. Outre cela, c’était une banale boîte. Il fixa la chose un instant, avant de lancer un timide « Heu… Je vous prie de m’excuser… ? ». Il avait toujours été ainsi. Nadia, son ex-femme, le lui avait bien trop souvent reproché. Trop poli, trop effacé, trop rangé. Si vide qu’il se rattachait à son métier pour se faire croire qu’il avait un semblant d’existence – il était médecin généraliste. Ça aussi, Nadia le lui avait dit. C’était méchant, sans nul doute – elle le lui avait dit avant de partir avec leur fille Misha. Mais pas dénué de vérité non plus, il devait bien l’admettre. Il contempla la boîte qui ne lui avait pas répondu. Enfin, il s’attendait à ce qu’elle lui réponde. Après tout, elle pouvait couiner, il n’était donc pas exclu qu’elle puisse parler anglais, n’est-ce pas ? L’homme leva les yeux au ciel. Voilà qu’il commençait à faire des raisonnements bancals. C’était mauvais, mais dans un monde comme ça, peut-être que ça se tenait. Il ne pensait pas qu’il était dans un rêve. Il croyait que si c’était le cas, il ne pourrait pas penser aussi clairement, et même si ce monde lui semblait illogique, ça ne ressemblait pas à un songe. Une intuition lui soufflait qu’il était bien dans la réalité. Difficile à croire pour un homme de science… Il fallait qu’il en sache plus.

A peine s’était-il dit cela que la boîte se métamorphosa. Elle grandit à une vitesse fulgurante pour devenir un coffre plus grand que l’homme. Avec des crocs. Qui bavait. Et qui grognait férocement. Visiblement, l’objet n’avait pas envie d’accepter ses excuses. L’homme, après avoir regardé avec stupéfaction la transformation, se dit qu’il n’était pas de taille face à cette chose. Il tourna les talons sans demander son reste et courut aussi vite que possible vers la ville, en quête d’une cachette. Il se glissa sous des restes d’une fusée, là où le coffre vivant ne pourra pas l’attraper. Il resta là, recroquevillé, attendant patiemment que son poursuivant s’en aille.