Iris Listz •• La guerre, c'est pas bien.

Tu aurais pu être une enfant niaise de plus. Les traits, la carrure, l'intonation et même les petites mimiques, tu les possèdes parfaitement, et ton inaptitude totale au combat te prédispose d'autant plus à cette catégorie. Iris, tu veux leur dire à tous ces adultes, que la violence c'est le mal, que l'avidité c'est pas bien, qu'il faut pardonner au chimpanzé volant qui vient de leur arracher un membre ou de leur lancer une banane brûlante à la figure. D'une façon ou d'une autre, hein, on peut toujours faire la paix, on peut trouver des compromis, ou peut se serrer la main avec tendresse et tout recommencer. Cette pauvre bête avait sûrement la tête en l'air, elle était énervée - on est tous énervé par quelque chose -, ou elle croyait que cette main était un accessoire en libre-service. Oui, sûrement, Iris vous le dira, ce chimpanzé était simplement perdu, une petite discussion suffira à remettre les choses en ordre, car Iris est cette idéaliste qui ne voit le vice que comme un égarement temporaire, un égarement qu'il ne faut pas nier mais combattre par les mots.

Et pourtant, tu n'as plus le souvenir de ton dernier sourire ou les traces de tes précédentes larmes. Tes yeux sont vides, incroyablement vides et désincarnés ; cette vision de violet et d'images n'a rien fait briller en eux, pas plus que ces paysages distordus et infinis. Le monde peut s'effondrer sous tes yeux, il peut même te détruire à petits bouts, il n'y a rien d'autre à faire que de l'accepter. Cette réalité n'est pas un rêve, tu l'as tant ressenti, mais elle n'est pas cruelle pour autant. Il fallait peut-être en arriver là, d'une manière ou d'une autre, quoi que nous tentions.

Tu ne crois pas non plus en ce hasard qui a provoqué ton réveil en un point précis de l'Esquisse, et pas en un autre : l'emplacement doit avoir un sens, un sens incontestable et tout puissant. Tu avances sur les sentiers que le vent te désignes, car ils sont sans aucun doute présents en ce but, tout comme la vie qui n'est qu'une marionnette pour cette volonté lointaine. Chaque battement de ton coeur est alors une impulsion du créateur qui n'a pas fini de t'user ; si tu les ressens encore, c'est parce que tu as un rôle à jouer dans sa pièce. Ce rôle, Papa et Maman te l'ont donné, Tonton aussi ; rester belle, rester jeune, rester à l'écoute, écouter les malheurs du monde et les apaiser.

Au milieu du brouillard et de tes pas que le vent efface, tu cherches ta place. Quelque part, pas loin, il doit exister quelqu'un que tu pourras sauver, ou une cause pour laquelle tu te dévoueras. Un destin tout tracé qui viendra à son heure, un destin perçu sans joie et sans peine apparente, car aucun commentaire n'est désiré et tu ne fais que ce pour quoi tu existes. Mais pourquoi trembles-tu ? Tout est pourtant si facile ! Il n'y a pas à hésiter, il n'y a pas à douter, il n'y a pas à craindre la mort, ces sentiments n'ont aucun sens et tu n'es pas sans l'ignorer. Peu importent ta ville natale, tes amis d'école, ta famille ou ta patrie - ils reviendront lorsque ce sera nécessaire. Peu importe également ce monde perdu où rien ne semble vivre dans la paix, puisqu'il suffit selon toi de lui parler pour éradiquer toute cette violence et puisque tu vis encore.

Iris, tu ne connais pas l'Esquisse. Tu n'en as vu qu'un désert, qu'une vaste étendue perlée modelée par les allées et venues du vent. Un océan de babioles sans trace de vie, sans course-poursuite et sans cadavres. Tu n'as pas encore connu la peur, la désolation, la misère, la faim ou la fatigue, tu ne t'es pas rapprochée de la mort… mais cela ne saurait tarder. Inexorablement, le destin te dévoilera morceau par morceau le cruel sort qu'il ta réservé, et tu l'accepteras, n'est-ce pas ? Tu perdras une jambe, un oeil, tu mourras, et tu feras peut-être aussi couler ton propre sang, s'il suffit de ceci pour donner un sens à la pitoyable existence qui t'a été offerte. Car au fond, on en revient toujours là ; tu ne peux exister sans quelqu'un pour t'indiquer la voie à suivre. Tu n'as pas de rêve et pas de motivation, pas d'envies ni de craintes.

Au milieu du brouillard qui t'efface et de tes pas que le vent guide, tu cherches ta place. Quelque part, pas loin, il doit exister quelqu'un que tu pourras sauver… alors, ne pourrait-il pas aussi exister quelqu'un pour te sauver ?