Un cookie aux cornichons. C’était une bien étrange vision qui s’offrait à elle. L’énorme gâteau, gigantesque et disproportionné, flottait dans l’air ambiant, qui sentait bon la barbe-à-papa et les fleurs de souliers. Et il y avait comme cet étrange brouillard qui tourbillonnait autour. Mais l’odeur ne lui disait rien de bon. Et il y avait aussi cette désagréable sensation qui s’emparait de son corps, comme un chat dans l’estomac ou la gorge qui se retourne – et inversement. Une certaine demoiselle aux cheveux roses avait trop fait la fête hier. Ou bien était-ce le jour même, l’avant-veille ? Charlie n’avait presque plus aucune notion du temps depuis … depuis des années peut-être – à moins que ce ne soit son cerveau qui ait encore décidé de modifier cette donnée, sans lui avoir demander la permission. Quel ingrat ! Elle le laissait bien vivre tranquillement là-haut, sans jamais rien lui reprocher, et il se permettait de lui jouer de sales tours ! Un jour, elle lui ferait payer. Saleté de cerveau.

Mais l’heure n’était pas encore à déterrer le couperet de bataille contre sa tête, il lui fallait plutôt résoudre le mystère de l’odeur de barbe-à-papa. Ou du cookie géant plutôt. Le voilà, qui, justement, se mettait à lui parler ! Ou plutôt parlait tout seul. Les tous petits ne cessaient de piailler, comme des moineaux, avec leurs voix stridentes, trop basses pour être audible, mais qui faisait un bourdonnement aigu des plus désagréable. Un des plus gros cornichons, presque au centre de la friandise, ne cessait de se lamenter sur son sort, pris au piège par la farine, le sucre et les œufs, mélangés et cuits ensemble. Il n’avait jamais voulu de cette liaison, c’était un mariage forcé que sa marraine – une concombre loin d’être charmante – avait organisé contre son gré ! Et en moins de temps qu’il n’en avait fallut pour le dire ou s’en rendre compte, le malheureux cornichon c’était retrouvé englué dans cette pâte et enfourné ! Il avait eu tellement chaud, il avait tellement transpiré, tellement …

« Ce que vous pouvez être barbant ! »

Arrêtez de geindre, de pleurer, ça ne servira à rien. Si vous voulez la liberté, prenez là, échappez vous de ce cookie ! Aurait-elle voulu hurler. Mais soudainement, tout cela lui sembla bien futile. Elle eu donc encore de faire autre chose, changer d’air, bouger. Elle avait bien assez traîné ici, à tel point que, lorsqu’elle se retourna, elle aurait jurer avoir arraché de petites racines sous ses pieds. Elle eut beau regarder sous toutes les coutures sa semelle jaune fluo, il n’en restait aucune trace. Elle haussa donc les épaules avec cette petite moue qui la caractérisait si bien – cette petite moue un peu indifférente, un peu intrigante. Elle épousseta rapidement les plis de sa jupe et s’en retourna à jamais, adieux cornichons, adieux cookie !

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Et voilà que ça lui arrivait encore ! Ca arrivait bien trop souvent ce genre de choses. Ou du moins, le pensait-elle. Quant à faire confiance à ses propres confidences, c’était une autre affaire. Comme si elle pouvait être capable d’avoir les idées claires ! L’esprit embrumé – comme à l’accoutumé – elle se redressa sur ses coudes. Une main tenta de se glisser dans sa chevelure en bataille, mais c’était peine perdue. Une tignasse pleine de nœuds. Elle soupira en faisait la moue, levant les yeux au ciel.

« CHATOUUUUUUUUUUUNE ! »

Un tourbillon jaune s’abattit sur elle. Et elles percutèrent le mur. L’une grommela, se jeta sur l’autre qui répondit à coup de chatouilles, de griffades. Et les mains pleuvaient sur les hanches, les pieds, sous les bras, se tordaient, se contorsionnaient, et les rires fusaient. Alors la blonde, saisissant un instant d’égarement, un rire opportun, glissa sa langue – et une petite pilule blanche – sur les lèvres de l’autre. Chacha l’avala docilement et saisit une clope a demi consumée qui traînait sur le sol. Elle souffla dessus avant de la saisir entre ses lèvres. L’autre demoiselle, se redressant, attrapa le bras de la belle et l’entraîna vers la fenêtre, vers un magnifique ciel bleu et quelques gratte-ciels miteux.

« Aller viens ! C’est bientôt l’heure du défilé. Je pari que cette fois, ce seront les piafs qui porteront les morses ! Ahah ! »

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Rose. Elle était envahie de rose. Mais il n’y avait pas que cela. Non, il y avait aussi des rayures et des pois mauves qui se perdaient, des images qui se découpaient, des décors lointains, des chiens en gros plans, des bribes de souvenirs qui lui appartenaient et d’autres non, des cubes qui volaient, des mots qui planaient. On aurait dit un découpage incertain, un de ces sites web absolument dégueulasse – même les collages d’un gamin de 3 ans seraient magnifiques à côté. Il y avait quelque chose de dérangeant, d’affreux, presque, mais aussi une espèce d’harmonie. C’était naturel et, si cela piquait un peu les yeux au début, on s’y habituait vite.

« J’ai l’impression d’être dans ma tête. »

Gloussa la demoiselle, allongée dans l’herbe. Et peut-être y était-elle, finalement ? Ce ciel rose ne pouvait représenter que ses cheveux. Et puisqu’elle était en dessous, elle était donc … à l’intérieur de son crâne ! Si c’était le cas, alors, elle avait hâte de voir quelles créatures peuplaient son cerveau ! Qui pouvait savoir quels étaient les secrets qu’elle-même avait enfoui, oublié ? Qui pouvait savoir toutes les rencontres qu’elle allait faire ? Qui pouvait savoir jusqu’où s’étendaient les limites de son imagination ? Grisée par cette idée, elle se redressa rapidement, un large sourire sur les lèvres. Elle abaissa la fermeture éclair de son sweat jaune fluo, dévoilant un débardeur bleu marine parsemé de petites étoiles fuchsias. Tout en réfléchissant à quelle direction prendre, elle se gratta négligemment, juste au dessus de son sein gauche. Comme si quelque chose la gênait, elle porta son regard à cet endroit, pour constater l’apparition d’un tatouage, une tête de mort, comme on pouvait en voir sur les drapeaux de pirate.

Trop SWAG, aurait hurlé un tourbillon blond, pensa-t-elle aussitôt, sans savoir pourquoi. Elle le contempla quelques instants, lascivement. Charlie peinait à se rappeler s’il avait toujours été là, ou si c’était la première fois qu’elle le voyait. Finalement, elle haussa simplement les épaules. Elle avait autre chose à penser, après tout. Bien qu’elle ne savait pas par quoi commencer. Une forêt de barbe-à-papa se dressait au loin, mais elle devinait également des landes immenses ailleurs. Lorsqu’elle vit un croissant flotter non loin d’elle, elle le héla alors. M. Croissant, l’appela-t-elle, mais il ne parut pas très heureux qu’on lui rappelle son apparence ‘croissantesque’ – du moins le montra-t-il autant qu’un croissant puisse être démonstratif. Il daigna finalement s’arrêter mais se révéla si peu loquace, qu’il ne fut d’aucune aide au petit bonbon rose. Avec une petite moue dubitative, elle décida alors d’attendre encore un peu – mais pas trop longtemps, sinon elle allait s’ennuyer – observant le ciel, les images et les mots qui s’y découpaient, s’y mélangeaient … Avaient-ils une signification ?

Ce fut finalement un lapin bleu à la montre musicale, qui l’aborda. Il connaissait beaucoup de monde ici, mais une demoiselle avec des cheveux aussi roses, jamais. Il lui demanda si elle faisait partie de l’Esquisse elle aussi. Et elle lui répondit que peut-être. Après tout, elle ne savait pas vraiment ce qu’était l’Esquisse, alors elle n’allait pas se risquer à lui donner une mauvaise réponse. Qui savait quels crocs il pouvait cacher derrière ses moustaches ? Elle avait apprit à être polie avec les lapins bleus aux montres musicales. Et puis ils discutèrent longuement, des couleurs, des images, des forêts de bonbons et des éléphants verts, des croissants hautains et des terrifiant toaster. Et la nuit survint, brutalement. Pas une seule lune, pas une seule étoile pour l’annoncer. Elle était tombée d’un coup.

« Un peu plus, et elle nous touchait nous aussi ! »

S’exclama Charlie, presque stupéfaite ! Puisqu’ils avaient échappés de peu au rideau de la nuit, Monsieur Pimousse des Sucettes au Citron – c’était comme ça que s’appelait le lapin bleu, mais il préférait qu’on l’appelle simplement Charles-Henry – lui proposa de l’héberger dans sa cabane en toile de téléviseurs. Il n’y avait pas plus confortable et coquet terrier que le sien, lui assura-t-il, non sans une grande fierté. Et bien soit ! Chatoune se redressa et, emboîtant le pas à Charles-Henry, ils s’enfoncèrent dans la forêt de barbe-à-papa en discutant joyeusement. Nuls doutes que demain serait une autre journée formidable dans cet Esquisse – quel drôle de nom pour son cerveau ! – qu’elle rêvait d’explorer dans les moindres recoins …